Du 12 au 18 février les élèves et enseignants de la Section Internationale Brésilienne du Lycée Melkior et Garée ont donné vie à l’événement « Une saison au Brésil, 100 ans de la semaine d’art moderne », à la C.A.S.E au quartier Bonhomme en partenariat avec l’association Energia Pura et en collaboration avec le Secrétariat de la Culture et de l’Economie Créative de l’Etat de São Paulo.

Mais à quoi bon célébrer une fête qui a lieu à plus de trois mille kilomètres de la Guyane ?

Tout d’abord, la Semaine de l’art moderne qui se tint à São Paulo du 13 au 18 février de 1922 marqua la recherche d’une rupture avec le passé colonial du Brésil. Les répercussions de cette manifestation sur la littérature, l’art et la culture du Brésil en général furent telles, que cette semaine a été reconduite durant des décennies, et a connu son apogée en 1960 avec la proclamation de Brasília comme capitale de notre pays voisin.

Cette rupture avec le passé s’est essentiellement traduite par les travaux d’un groupe d’artistes modernistes à la recherche d’une identité nationale plurielle. D’une part, on revendiquait la mémoire amérindienne et afro-américaine, dans un retour aux origines sud-américaines ; d’autre part, on cherchait à « moderniser » l’art brésilien en suivant les mouvements d’avant-garde étrangers, notamment ceux venant de France. La synthèse de ces deux propositions, apparemment contradictoires, devait être obtenue par « cannibalisme ». Un mouvement artistique qui s’affirmera ultérieurement, le « mouvement anthropophage », qui partait du principe qu’il faut “phagocyter” les avant-gardes étrangères et les adapter aux couleurs locales.

Ainsi, il apparut plus que naturel que la Guyane, pays composé d’un mosaïque d’ethnies, ait accueilli l’événement “Une saison au Brésil, 100 ans d’art moderne” autour d’un socle multiculturel commun aux deux territoires. Inauguré par la conférence “Visite au Musée AfroBrésil: art, histoire et mémoire”avec Sandra Salles et “Gato Preto”, le public a pu mesurer l’ampleur de l’influence afro-américaine dans le rayonnement de la culture brésilienne. Gato Preto rappela également l’importance de la contribution des peuples autochtones, représentés sur place par des jeunes de l’ethnie Teko venus de Camopi. En parallèle à ce temps de réflexion, des élèves de la Section Internationale Brésilienne du Lycée Melkior et Garré, conduits par les professeurs assistantes Mariana Agati et Naomi Quirino, animaient dans la salle “racines” du même bâtiment, des “jeux lusophones” pour des enfants du quartier Bonhomme.

Ensuite la journée s’est déroulée comme une grande fête associant les symboles de la diversité des arts contemporains. Ainsi l’artiste plastique Agapé Kevin, collaborateur dans la conception des fresques murales de la Cité des Âmes-Claires, a proposé la création collective d’une favela multicolore en plein air. De leur côté, animant un atelier numérique, les enseignants Stéphane Granger et Pierre Foulquié invitèrent le public à jouer avec des jeux d’échecs bleu et blanc conçus par impression  3D, et à voyager via la réalité virtuelle à travers des banlieues  de centres urbains distants de plusieurs milliers de kilomètres.

Les danseuses Adriana Ereio et Amandine Marchand animèrent des ateliers de danses nourries par des influences africaines comme l’afoxé et le côco. Plusieurs capoeiristes du groupe Energia Pura, au côté des artistes dans l’organisation de l’événement, ont par ailleurs présenté aux jeunes participants des techniques de combat des peuples africains au temps de l’esclavage. Finalement, l’association “Atelier du cirque” a ajouté de la poésie corporelle tout au long de l’événement avec son tissus aérien rouge foncé, couleur symbolisant la force, l’énergie et évidemment l’amour ! Amour qui certainement unissait tous ces bénévoles néo-modernistes, tels les artistes ayant organisé la toute première édition de la semaine d’art moderne de 1922 à São Paulo. En résumé, un groupe d’acteurs d’une grande diversité, impliqué dans des expressions artistiques différentes et très chaleureusement accueilli au quartier Bonhomme, le tout accompagné d’une bonne “feijoada”.

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Mais ce n’est pas encore fini.

La rencontre “Une saison au Brésil, 100 ans d’art moderne” qui commença ainsi brillamment  le 12 février à la C.A.S.E a prolongé ses festivités au Lycée Melkior et Garré jusqu’au 18 février. Par une heureuse coïncidence, le lycée proposait également une semaine d’art à ses plus de deux mille élèves. Des dizaines d’ateliers, tel quels le “hip hop” et “les langues créoles”, se conjuguèrent avec “des nouvelles au rythme de la bossa nova et de la capoeira zen” animé par la section internationale brésilienne et l’intervenant Philippe Thibault de l’association Energia Pura. Cette fois-ci, dans une ambiance plus intimiste, le jeune public proposa un show de talents littéraires, honoré en distanciel par le Musée de la Langue Portugaise de São Paulo. Sous le format d’un “bœuf” avec microphone et guitare ouvert au public, quelques élèves et enseignants ont joué quelques notes empreintes de “saudade”, un sentiment poétique inhérent au rythme de la Bossa Nova. Et comme en présage d’une semaine qui ne voulait pas se terminer, ils ont chanté ensemble Vinicius de Moraes et Tom Jobim :

Tristeza não tem fim / La tristesse n’a pas de fin

Felicidade sim / Le bonheur oui

C’est ainsi que du quartier Bonhome jusqu’au Lycée Melkior et Garré, suivant une route créative de la banlieue vers le centre de Cayenne, ces sept jours ont pris l’ampleur de toute “une saison”. Une Saison partagée entre Guyane et Brésil, aux rythmes des hommes et des femmes d’une même nature, à la fois diverse et plurielle.

Source: La « Semaine de l’art moderne » de 1922: sept jours qui ébranlèrent la culture. In: Le Courrier de l’UNESCO: une fenêtre ouverte sur le monde, XXXIX, 12, p. 38-39, illus.

Par Sabrina Thibault, titulaire d’un Master 2 Recherche en Études Internationales à l’Université de la Sorbonne Paris III en partenariat avec l’Institut d’Études Politiques de Paris – Sciences PO. Après avoir voyagé sur quatre continents et avoir enseigné dans des universités au Brésil et en Guyane Française, elle est actuellement professeur de littérature brésilienne dans la section internationale du Lycée Melkior et Garré. Son rêve : en tant qu’éducatrice et entrepreneuse du social, elle espère mettre à profit son expérience internationale dans le domaine de l’innovation en faveur d’une jeunesse participative et d’un développement durable de la région amazonienne.

Peinture en haut : Abaporu de Tarsila do Amaral, 1928. Abaporu signifie dans la langue des amérindiens Tupi-guarani «l’homme qui mange les gens».