Le mois dernier, la Cour constitutionnelle dominicaine a ordonné au Conseil central électoral d’éplucher tous les registres des actes de naissance depuis 1929 et de rayer toute personne qui aurait été indûment inscrite et reconnue comme citoyen dominicain.
Entre 1929 et 2010 la République dominicaine a accordé la nationalité à tous les enfants nés sur son sol, à l’exception de ceux dont les parents étaient diplomates ou en transit (10 jours au plus) au moment de leur naissance. Au fil du temps, un nombre considérable de migrants haïtiens ont traversé la frontière, la plupart pour travailler comme coupeurs de canne. La République dominicaine a officiellement reconnu leurs enfants comme citoyens dominicains, leur délivrant certificats de naissance, cartes d’identité et passeports indépendamment du statut migratoire de leurs parents.
Mais en 2004, la Loi générale sur les migrations a étendu la notion d’étrangers en transit aux personnes ayant un titre de résident périmé et aux travailleurs en situation irrégulière. Les autorités ont alors commencé à appliquer la loi de façon rétroactive, en faisant valoir que les enfants nés en République dominicaine de parents haïtiens et ayant déjà obtenu la nationalité dominicaine n’auraient, en réalité, pas dû en bénéficier au moment de leur naissance !
Privées de nationalité dominicaine – l’obtention de la nationalité haïtienne n’étant pas automatique pour les descendants de ressortissants haïtiens de deuxième et troisième génération – quelque 250 000 personnes risquent de devenir apatrides. (CaribbeanNewsNow, 19/10)

Ubuesque et discriminatoire

Elena Lorac, 25 ans, issue d’une famille modeste d’origine haïtienne, est née en République dominicaine où ses parents sont venus s’installer pour travailler voilà plusieurs décennies. À sa naissance, elle a automatiquement obtenue la nationalité dominicaine. En 2010, alors qu’elle s’apprêtait à s’inscrire à l’université, sa carte d’identité a été rejetée en vertu de la nouvelle loi. Du jour au lendemain, Elena est devenue une étrangère dans son propre pays. Sans document officiel, il lui est impossible d’étudier, travailler, ouvrir un compte bancaire ou même être soignée. « Je ne peux même pas acheter un téléphone portable. Ma vie est anéantie. » (Amnesty International, 18/10) Sa seule issue : partir à Haïti – un pays où elle n’est jamais allée et ne connaît personne – simplement parce que ses parents y sont nés.

Pour Felipe, 46 ans, avocat dominicain d’origine haïtienne et père de deux enfants, cette décision s’inscrit en partie dans un contexte de discrimination tenace envers les Haïtiens et les Dominicains d’origine haïtienne. Et de pointer le caractère ubuesque de la situation : « Selon la loi, je dois aller en Haïti, leur demander de m’accorder la nationalité et revenir ensuite pour me faire naturaliser. C’est absurde ! » (Amnesty International, 18/10)

Photo : école dans le quartier de Pémerle, commune d’Aquin, Haïti – Guillaume Aubertin – novembre 2011