Le Parc amazonien de Guyane s’est emparé d’une technologie innovante afin de lancer une étude pilote pour le suivi du singe atèle. Comment ? Grâce au drone et à l’imagerie thermique. Les données obtenues en phase expérimentale présagent de belles avancées pour la connaissance des espèces qui nous échappent et leur protection.
Etudier les animaux qui vivent au sommet des arbres n’est pas une mince affaire. Cela demande de l’inventivité. Il faut trouver un moyen de prendre de la hauteur, soi-même en grimpant aux arbres ou alors indirectement… grâce à un drone. C’est le défi que s’est lancé le Parc amazonien de Guyane (Pag), en mettant en place une étude pilote pour étudier les populations de singes atèles – difficile à observer – à l’aide d’un drone équipé d’une caméra thermique.
La volonté du parc national étant d’explorer des méthodes de suivi plus adaptées, pour arriver, à terme, à estimer les densités de population de l’espèce au fil du temps et assurer une gestion durable des pratiques de chasse sur le territoire.

Premiers tests en Guyane

Le suivi de la faune par drone thermique reste encore aujourd’hui à son stade expérimental et la recherche commence à s’y intéresser pour les primates en milieu tropical : des études menées sur les gibbons en Chine, les atèles au Mexique ou les orangs-outans à Bornéo montrent déjà des résultats très prometteurs. En Guyane, c’est une première. Cette étude pilote, débutée fin 2022, a permis d’identifier empiriquement les paramètres optimaux et d’évaluer la faisabilité de la méthode sur le territoire. «Un test sur des individus hébergés au Zoo de Guyane a permis d’affiner les paramètres de détection et a facilité la collecte d’informations sur la signature thermique» , résume Cristina Marqués Ferri, alors chargée de la mission au Parc amazonien. Deux missions (à la Station scientifique des Nouragues puis à Saül) ont optimisé la méthode, cette fois, en milieu naturel, en survolant la canopée (à l’aube et au coucher de soleil) suivant des lignes de prospections précises. Plusieurs observations ont contribué à ajuster des paramètres techniques et méthodologiques tels que la hauteur de vol, le design du plan de vol, le choix d’un moment de la journée alliant bon contraste thermique et visibilité, le choix d’un filtre thermique adapté, etc. «Lorsqu’une source de chaleur est détectée, les agents peuvent zoomer en temps réel sur la cible identifiée et passer sur une caméra visuelle pour identifier l’animal. Si possible, les individus sont photographiés, filmés et comptés», poursuit-elle.

Vers une standardisation de la méthode

Ces premiers résultats montrent que cette technologie est efficace pour détecter les animaux de canopée. Les efforts devraient donc se poursuivre afin d’arriver à standardiser la méthode pour mettre en place un suivi durable de l’espèce sur le territoire. Rappelons qu’aujourd’hui en Guyane, seul le suivi de la grande faune (en place depuis 2002 sur le Parc amazonien) via la méthode des Indices kilométriques d’abondance (Ika) permet de suivre dans le temps l’évolution de l’abondance des espèces chassées. Cette méthode, éprouvée pour les espèces vivant au sol, présente néanmoins des limites pour les espèces de canopée telles que l’atèle. Développer une méthode adaptée et spécifique au suivi de cette espèce de grand primate est donc un enjeu majeur. Enfin, bien que non ciblé par l’étude pilote, un grand cortège d’animaux (oiseaux, paresseux, et autres primates) a été observé lors des tests. Ainsi, cet outil pourrait également s’appliquer à une large palette d’espèces et à de nombreux milieux.

L’étude des animaux révolutionnée par le drone

Face aux méthodes traditionnelles de suivi de la faune, efficaces, mais coûteuses en temps, effort humain et logistique, l’alternative du drone émerge petit à petit dans le paysage de l’écologie et de la conservation. Cette dernière décennie a vu émerger de plus en plus d’études de la faune faisant usage de cette technologie, notamment dans les milieux dégagés et le milieu marin.
Pour la chargée de mission, le drone permet de compter, étudier et protéger les animaux tout en s’affranchissant de beaucoup de contraintes : «On peut prospecter de grandes surfaces et recueillir des images et données précises. Équipé d’une caméra thermique qui capte la chaleur émise sous forme de rayonnements infrarouges, on détecte facilement la présence d’individus à sang chaud. Une technologie d’autant plus intéressante pour l’étude d’espèces peu visibles à l’oeil nu ou discrètes», indique-t-elle. C’est le cas de l’atèle, qui est un primate strictement inféodé à la canopée et au pelage noir peu contrastant.

Défis techniques en forêt tropicale

L’utilisation du drone thermique en milieu forestier tropical est moins anodine qu’ailleurs. À titre d’exemple, effectuer des survols de la forêt implique souvent de voler « hors vue », c’est-à-dire que le télépilote commande le drone sans l’avoir dans son champ de vision. Ce scénario oblige à bien étudier le terrain et le relief en amont.
C’est aussi un challenge pour la détection thermique, car le contraste de températures entre les animaux et la forêt est plus faible que, par exemple, un ours polaire sur une banquise ou un cerf sur une plaine en Alsace. Il y a donc plus de sources de confusion et il faut de nombreuses heures de pratique pour apprivoiser l’outil et pour distinguer la signature thermique d’un singe, de celle d’un tronc exposé au soleil, d’un tas de feuilles ou d’une termitière… D’où l’importance de choisir les heures les plus froides de la journée.

De très forts enjeux de conservation

Le singe araignée commun Ateles paniscus (communément appelé atèle ou Kwata en créole) est une espèce endémique du plateau des Guyanes. Une espèce familière, mais dont on ignore pourtant encore beaucoup, que ce soit sur son écologie ou ses densités de population. Quasiment disparu dans les pays voisins, l’atèle est classé comme “vulnérable” au niveau mondial (UICN, 2008).
En Guyane, il bénéficie encore du refuge qu’offrent la densité et l’inaccessibilité de la forêt. Pour autant, le fléau de l’orpaillage illégal combiné à l’accroissement démographique qui entraîne le développement de nouvelles infrastructures, conduisent à la destruction croissante de la forêt guyanaise. Ils menacent son bon état de conservation et des animaux qui y vivent.
Les atèles étant strictement arboricoles et essentiellement frugivores, ils dépendent des forêts non perturbées. Ce qui les rend plus vulnérables à la destruction ou à la fragmentation de l’habitat par rapport à d’autres espèces. À cela s’ajoute leur taux de reproduction, parmi les plus bas chez les singes (une femelle ne met bas qu’une fois tous les quatre ou cinq ans).
Il est alors interdit de le chasser et de le commercialiser. Mais dans un contexte comme celui de la Guyane – qui a pour toile de fond un fort pluralisme culturel cohabitant avec une biodiversité à la fois riche et fragile – l’enjeu est encore plus complexe.
L’atèle est une espèce traditionnellement chassée par les populations amérindiennes et bushinenge de l’intérieur de la Guyane. Chez les Aluku, il a une symbolique forte dans la pratique cultuelle de levée du deuil, le puu baaka (« ôter le noir »). La chasse de cette espèce par ces communautés vise essentiellement les femelles (leur viande étant réputée plus savoureuse). «Cette chasse ciblée, si elle n’est pas bien gérée, peut avoir des conséquences dommageables, entraînant la diminution du taux de femelles et induisant une déstructuration sociale des groupes et une baisse de leur capacité à se reproduire», résume la responsable scientifique du Parc amazonien, Hélène Delvaux.
Depuis quinze ans, le Parc amazonien s’inscrit dans une démarche d’accompagnement des communautés locales pour allier préservation des patrimoines culturels et protection durable des ressources naturelles. L’objectif est la création d’un cadre réglementaire adapté, légalisant des prélèvements à l’occasion d’usages traditionnels et de subsistance, conciliant le respect du mode de vie des populations autochtones et la protection de la biodiversité.

Texte Boukan. Photo Tanguy Deville, Vincent Premel