Le saviez-vous ? Le rhum traditionnel d’Outremer est encadré par un régime économique et fiscal dérogatoire. On parle de contingent qui suscite régulièrement des tensions lors des négociations entre les bénéficiaires. En 2021, les méthodes de répartition du contingent économique ont été modernisées pour mieux correspondre au développement des opérateurs et distilleries de la Réunion, la Guyane,la Guadeloupe et la Martinique. On vous explique le principe.

Lorsqu’il est mis à la vente, le rhum traditionnel d’Outremer dispose d’un tarif différent sur chaque territoire, y compris en hexagone. Car il bénéficie d’une fiscalité particulière dans le but de réguler le marché, protéger la filière et les emplois qu’elle génère. Une particularité française accordée par l’Europe et régulièrement actualisée. Dernière révision en date, celle de 2021. Plusieurs points de méthodes ont été modifiés.

La répartition se calcule désormais tous les deux ans, sur « la base de la moyenne des volumes exportés au cours des trois dernières campagnes », explique le service des douanes, qui assure le suivi réglementaire du secteur des boissons alcooliques. Cette modernisation permet une gestion « plus proche de la réalité du marché », commente Hervé Damoiseau, directeur d’une des plus grandes distilleries de Guadeloupe, faisant référence aux capacités de développement et de commercialisation. Le directeur, ancien président du Conseil interprofessionnel du rhum traditionnel des départements d’Outre-mer, (CIRTDOM), continue : « Avant 2022, chaque département avait un contingent fixe, que l’État français réattribuait à différentes distilleries en négociation avec le CIRTDOM. Dès 2024, le contingent sera global [regroupant tous les départements], et évolutif, pour être réparti au pourcentage des ventes de chaque distillerie ».
Pour rappel, un contingent est une quantité maximale annuelle qui sert de référence pour les nombreuses réglementations économiques et fiscales, dont bénéficie le rhum traditionnel agricole et de sucrerie d’Outremer, sur le marché national.

Les débuts du contingent

Le contingent existe depuis 1922 et à cette date, il était « plafonné à 204 000 Hectolitres d’alcool pur (HAP) pour tous les départements français, y compris Madagascar [qui était une colonie française jusqu’en 1946] », précise Hervé Damoiseau directeur de la distillerie du même nom. « En 1995, le contingent n’était plus adapté à la réalité, car les ventes en métropole s’étaient effondrées à 75 000 HAP, le volume a été refondé sur la moyenne des volumes commercialisés de 1990 à 1994 par chaque département », se remémore le distillateur. C’est lors de cette révision pour un nouveau contingent de 90 000 HAP que la Martinique a été « favorisée » selon lui, « certaines références [n’ayant] pas été prises en compte dans notre moyenne ». À l’époque, la Guadeloupe produit plus de sucre que de rhum. Pour mémoire, il était de 90 000 HAP en 1996, augmenté à 108 000 HAP en 2008, puis relevé à 120 000 HAP en 2012, pour passer à 144 000 HAP en 2017.
Aujourd’hui, le contingent s’élève à 153 000 hectolitres d’alcool pur (HAP) depuis sa dernière révision en 2020.

Soutenir la compétitivité du rhum traditionnel

Le contingent correspond à une « compensation de surcoûts », explique Charles Larcher, président du Coderum, le Comité martiniquais d’organisation et de défense du marché du rhum et directeur général des Héritiers Clément. Ce dispositif est censé compenser le manque de compétitivité du rhum traditionnel, car les opérateurs subissent plusieurs contraintes, comme le coût de production de la canne, la faible superficie de surface agricole, l’insularité [hors Guyane], les climats difficiles, ou encore les taxes par bouteille, qui sont plus élevées du fait du haut degré d’alcool.

Que permet ce régime fiscal dérogatoire ?

Pour faire simple, on distingue deux formes de contingents.
Le contingent dit économique et le contingent fiscal qui s’appliquent dans la limite des 153 000 hectolitres.

• Le contingent fiscal
Lors de la mise à la consommation en métropole, les rhums traditionnels agricoles et de sucrerie bénéficient d’un tarif particulier de taxation. En termes douaniers, on parle de réduction de moitié du droit d’accise applicable au rhum des DOM. L’accise est un impôt indirect qui s’élève habituellement à 1 834 euros par hectolitre d’alcool pur pour tous les alcools. Dans le cas du rhum traditionnel d’Outremer, cette taxe est réduite de moitié, elle s’élève donc à 917 euros par hectolitre d’alcool pur, à laquelle il faut ajouter la cotisation à la sécurité sociale.
La différence de prix, entre le rhum vendu en hexagone et dans les DOM, s’explique aussi par les frais d’exportations et les marges des distributeurs.

• Le contingent économique
Le contingent économique fixe la capacité d’exportation annuelle pour chacun des DOM. Fixé par arrêté du code général des impôts, modifié en 2021 et en vigueur depuis janvier 2022, le contingent est réparti « entre rhum traditionnel agricole et rhum traditionnel de sucrerie, et d’autre part entre les départements d’Outremer et entre les distilleries ».
- Martinique : 56 313,236 HAP de rhum traditionnel agricole et 11 410, 855 HAP de rhum traditionnel de sucrerie.
- Guadeloupe : 18 390,391 HAP de rhum traditionnel agricole et 36 497, 649 HAP de rhum traditionnel de sucrerie.
- La Réunion : 0 HAP de rhum traditionnel agricole
et 29 876,696 HAP de rhum de sucrerie.
- Guyane : 511,173 HAP et 0 HAP de rhum traditionnel de sucrerie.

Au total, 24 opérateurs se partagent 153 000 HAP. 11 en Guadeloupe, 9 en Martinique, 3 à la Réunion et 1 en Guyane. Au fil des années et au gré de nombreuses négociations, la répartition s’équilibre doucement entre la Guadeloupe et la Martinique, qui a toujours bénéficié d’un contingent de rhum agricole bien supérieur aux autres.
À noter : si une distillerie atteint sa part de contingent, elle peut toujours exporter, mais elle sera redevable d’une soulte, une somme d’argent calculée sur le volume exporté en plus. « Une façon de réguler le marché », indique l’administration douanière. À l’inverse, si le contingent n’est pas atteint, les bénéficiaires du dispositif ont la possibilité d’octroyer une part de leur contingent à d’autres distilleries. Ce qui peut arriver lorsque des distilleries estiment ne pas pouvoir atteindre leurs ambitions d’exportations, ou si elles souhaitent garder du rhum dans le but de le faire vieillir. On parle de remise à la masse, en négociations via le CIRTDOM.

Les conditions pour bénéficier du contingent

Pour prétendre au dispositif d’État, il faut produire du rhum traditionnel dans les départements d’Outremer et répondre à plusieurs conditions :
- Produire du rhum traditionnel provenant exclusivement de la fermentation de mélasses ou de sirops issus de la fabrication du sucre de canne ou de jus de canne à sucre des DOM**.
- Bénéficier de l’aide à la transformation de la canne en rhum agricole, le POSEI.
- Posséder son propre moulin pour broyer la canne et en extraire le jus.
- Fermenter le jus de canne et le distiller à l’aide d’un outil destiné exclusivement à cet effet, situé sur le lieu d’exploitation du moulin.
- Distiller le rhum uniquement à l’aide d’une colonne de distillation.

Fiscalité différente sur le marché des DOM

Sur le territoire de production, le rhum traditionnel est vendu hors contingent. Il bénéficie cependant d’une accise à un taux de taxation bien inférieur à celui applicable en métropole et différent dans les quatre départements d’Outremer. À titre d’exemple, cet impôt indirect est de 12,5 euros par hectolitre d’alcool pur en Martinique et en Guadeloupe, contre 917 euros par HAP sur le marché national, comme expliqué précédemment.
Au prix final de vente dans les DOM, il faut bien sûr ajouter la cotisation à la sécurité sociale et l’octroi de mer.

439,9 M d’euros d’aides en 2019

Pour les trois principaux territoires producteurs de rhum, le montant global des aides spécifiques s’élevait en 2019 à « 439,9 M d’euros en 2019, avec 44 % d’aides fiscales et 56 % d’aides budgétaires, soit 15 870 € par emploi direct et indirect », selon le rapport Perspectives de la filière canne-sucre-rhum-énergie en outre-mer de 202 qui comptabilise 27 700 emplois directs et indirects, en Guadeloupe, Martinique et à la Réunion.

Bénédicte Jourdier