le  Hors série n°07 est disponible dans notre boutique en ligne

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Des Wayana et des Palasisi* ont accompagné des chercheurs dans leur tentative de retrouver les traces de leurs ancêtres dans les légendaires monts Tumuc-Humac. 

À l’heure où les sciences participatives deviennent un enjeu de société, cette démarche d’archéologie participative nous a semblé une évidence. Associer les Wayana aux recherches sur leur propre histoire était déjà au centre de notre démarche de cartographie participative, dès 2012. La richesse et le foisonnement des récits révélés lors des missions de toponymie organisées sur la Litani et le Marouini nous ont encouragés à poursuivre en remontant le temps, tout en allant plus loin vers les Tumuc-Humac, aux sources de la crique Alama, région d’installation des Wayana en Guyane française au 18e siècle.
L’expédition Planète revisitée organisée par le Muséum national d’histoire naturelle et l’ONG Pronatura dans le massif du Mitaraka en 2015, était dédiée exclusivement à l’inventaire d’espèces biologiques et à la découverte de nouvelles espèces. Elle fut véritablement une réussite dans ce domaine, puisque 92 espèces nouvelles pour la science y ont été découvertes puis décrites et 64 nouveaux signalements pour la faune de Guyane.
Lorsque Marie Fleury s’est malencontreusement perdue dans les collines avoisinantes au camp de base, vers la source de la crique ALAMA, elle a trouvé des céramiques qui ressemblaient fort à celles que fabrique avec tout son talent artistique, son ami Linia Opoya du village de Taluwen. Elle eut l’intime conviction que ces monts avaient été habités par les ancêtres des Wayana. Il fut alors décidé d’y retourner avec eux et avec des spécialistes de l’archéologie et de l’histoire et de la dynamique de la forêt. C’est le point de départ de l’organisation de cette mission “ sciences humaines ” cette fois-ci dédiée à la recherche historique, archéologique et ethnologique en partenariat avec les Wayana.
Du 8 au 20 octobre 2018, six chercheurs, trois Wayana et trois Palasisi, déposés en hélicoptère, ont sillonné le massif du Mitaraka, en suivant la crique Alama, qui restait le principal repère dans cette forêt accidentée, couvrant la partie nord-ouest des Tumuc-Humac. Quatre-vingts kilomètres ont été parcourus en dix jours, dans le but d’inventorier les sites et indices archéologiques présents en surface. Des sondages de sols par tarières étaient réalisés par l’Archéologue afin d’évaluer l’occupation humaine des sites en fonction de la couleur du sol : la présence abondante de charbons et la couleur foncée (terra mulata, ou terra preta) étant de bons indices d’anciennes occupations humaines.
Trois indices archéologiques et huit sites archéologiques ont été relevés durant cette mission. La montagne couronnée avait été “ découverte” par notre ami Olivier Dummett durant la mission “ Planète revisitée ”. Les sondages archéologiques ont permis d’en faire une datation qui remonterait à quatre mille ans, ce qui en ferait la montagne couronnée la plus ancienne découverte en Guyane… Cette datation exceptionnelle est peut-être due à un fragment de charbon issu d’un paléofeu, lors d’une période de sècheresse (cf. Tardy 1998), mais ne remet pas en cause une possible présence humaine il y a plus de 4000 ans… Si cette datation mérite d’être confirmée par d’autres échantillons, un fait est toutefois indéniable : les Tumuc-Humac ont été habités depuis longtemps et sur une longue période.
En effet, des traces d’un village remontant à seulement une trentaine d’années a retenu notre attention : une forêt récente, ressemblant à un ancien abattis pour les Wayana, qui y ont plutôt vu la trace d’un village Akulyo, ces Indiens “ sauvages” qui peupleraient encore la forêt guyanaise, refusant tout contact avec la “ civilisation ”. De nombreux tessons de céramique au sol ont permis d’attester l’occupation humaine, mais aucune datation de ces tessons n’a été possible, seul l’âge de la forêt nous permettant ici de dater le site. Cette découverte a ravivé la mémoire d’Aima, qui nous a raconté les rapts d’Indiens “ sauvages ”, organisés par les missionnaires évangéliques du Suriname voisin, pour les ramener à la “ civilisation ”. Les derniers rapts datant des années 90 dans cette région, l’hypothèse d’un ancien village Akulyo (ne pratiquant pas l’agriculture, nous précisent les Wayana), reste tout à fait probable.
En dehors de ces deux sites contrastés sur le plan historique, un autre a attiré notre attention : c’est la colline où Marie Fleury s’était perdue en 2015. Selon les Wayana, il s’agit d’un ancien site funéraire : en effet de nombreuses excavations dans le sol laissent supposer qu’il s’agit de tombes. À l’époque, nous disent les Wayana, « nous enterrions nos défunts sous terre, dans le village, en protégeant le corps avec une planche. Quand la planche pourrit, le sol s’effondre ».
Un peu plus loin sur le même plateau, nous découvrons un fossé de 4 mètres de large, 2 mètres de profondeur et 30 mètres de long. Il semble barrer le site, sans mener à la crique, comme d’autres chemins creusés. C’est ce qu’on appelle un éperon barré. S’agit-il d’un élément symbolique permettant de signaler la présence des tombes sur le plateau ? La question reste ouverte…
Non loin de là, dans le coude de la crique Alama, nous découvrons un autre site à fossé : il s’agit cette fois-ci d’un chemin creux de 4 mètres de large, 230 mètres de long et 2 mètres de profondeur, qui mène à la crique. Un autre site à fossé similaire se trouve non loin de là en allant vers l’inselberg dénommé “ sommet en cloche ”.
Toute la région a donc été habitée et sur une longue période ; les premières datations permettent de conclure à au moins 2 000 ans (voire 4 000 ans) d’occupation humaine sur cette partie des Tumuc-Humac.
La période d’occupation par les proto-Wayana (à l’époque ils n’étaient pas encore regroupés sous ce vocable, mais appartenaient à plusieurs nations autochtones, qui auraient donné naissance aux différents clans chez les Wayana), correspond à la fin du 18e, début 19e siècle. Le tesson trouvé par Marie F. correspond à cette époque (datation du début 19e), mais il est fort probable que ce groupe ait occupé d’anciens sites habités par d’autres groupes amérindiens précolombiens. Les fossés par exemple, ou chemins creux ont pu être réutilisés par les Amérindiens de l’époque pour faciliter l’accès du village à la crique. Il est également possible qu’ils aient été palissadés comme le décrit l’explorateur Tony, qui, avec Patris, fut un des premiers, en 1769, à vivre parmi les “ Roucouyens ” comme on les appelle à l’époque, au pied des Tumuc-Humac, non loin à vol d’oiseau du massif du Mitaraka. Il décrit une organisation militaire, avec des chemins rectilignes, palissadés avec des gaulettes, qui mènent au village, situé sur une petite hauteur, et doté d’une tour de guet en gaulette, perchée sur des troncs d’arbres, permettant de repérer les ennemis de loin.
Cette description de la société wayana, parfois remise en cause par les chercheurs contemporains (Dupuy, 2012 : 58), peut, grâce aux éléments trouvés lors de cette mission au Mitaraka, être réhabilitée. Et ce, d’autant plus, que divers témoignages de la tradition orale, recueillis lors des missions de cartographie participative, confirment cette organisation militaire de leur société de l’époque : « Le premier village, kulumulihpan, installé sur la Litani était un village peuplé uniquement d’hommes, de guerriers, ni femmes ni enfants ne pouvant y résider. C’était un village de réunions, très important, où l’on pouvait demander et obtenir l’autorisation de se déplacer sur le fleuve. » (cf. Pidima, in Fleury et al., 2016). Cette organisation militaire orientée vers la guerre corrobore le mythe de Kailawa, ce héros guerrier fondateur ayant combattu toutes les autres nations amérindiennes pour en créer une seule : celle des Wayana regroupant tous les descendants des ennemis vaincus (Chapuis & Rivière, 2003).
En conclusion, cette expérience de recherche participative et pluridisciplinaire a été non seulement riche sur le plan scientifique, mais aussi une très belle expérience humaine. Les Wayana ont pu participer à la recherche, découvrant des méthodes scientifiques qui leur étaient inconnues, tout en se réappropriant une partie de leur histoire. Les soirées ont été l’occasion également d’échanges fructueux : les histoires d’Indiens “ sauvages ”, l’évolution de leur mode de vie depuis cette période historique dans les Tumuc-Humac, le courage de leurs ancêtres, et la lecture d’anciens textes d’explorateurs comme Coudreau, ont donné l’envie à tous d’envisager une future mission, sur les traces de cet explorateur… affaire à suivre…,

Texte de Marie Fleury, Aimawale Opoya, Aitalewa Palanaiwa, Anaima Putpu, Daniel Sabatier, Martijn van den Bel
Photos Daniel Sabatier, Marie Fleury