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En Polynésie française, le cancer est la deuxième cause de mortalité après les maladies cardiovasculaires. Les seins, la prostate et les poumons sont les organes les plus touchés. 800 malades supplémentaires sont recensés chaque année. Manque de dépistage et de prévention, offre de soins compliquée… La copie du territoire est loin d’être parfaite même si des efforts sont consentis.

«Tu veux quelque chose ? Un petit café avec un biscuit ? ». Carlos est bénévole à la Ligue contre le cancer. Cet ancien militaire passe trois heures tous les matins au service radiothérapie de l’hôpital de Tahiti. Le septuagénaire, à l’allure élancée, le crâne nu, est accompagné de sa compagne Claudine, un petit bout de femme au visage lumineux.
Leur mission : apporter du réconfort aux malades. Ils sont nombreux à venir tous les jours dans ce service, entre 25 à 30 patients chaque jour, plus de 700 par an. Assis sur une chaise, souvent munis d’un foulard sur la tête, ils attendent patiemment leur tour dans ce couloir aux murs froids. Le moment est difficile, le moral souvent au plus bas. « On n’offre pas grand-chose, mais ça fait du bien. L’idée est de leur donner un peu de chaleur humaine, ça crée des liens. Au début, chacun est dans son coin, puis on finit par rigoler ensemble ». Poema fait partie de ces patients quotidiens. Elle est atteinte de quatre cancers : les deux seins, l’utérus et la vessie. Elle apprécie ce petit café chaud quand elle arrive le matin alors que l’aube se lève à peine. Elle habite à la presqu’île, elle part à 3 h du matin pour venir se faire soigner en ville. Huit ans qu’elle fait les allers-retours, alors oui, ce service lui apporte un peu de joie. « On en a besoin, ce sont des petites attentions, mais c’est important pour nous ! », confie cette mère de famille qui, concède-t-elle la larme à l’œil, se bat pour son unique petit-fils. La vie ne l’a pas épargnée, mais elle garde le sourire, comme ses voisins de couloir, Maria et Gilles. Le couple vient de Bora Bora. Maria est atteinte d’une tumeur au cerveau, elle a été évasanée en juin dernier sur Tahiti pour se faire opérer et suivre une radiothérapie de six semaines. Son compagnon l’accompagne, un soutien indéfectible. « Ça me rassure », souffle Maria, le regard absent. Le couple a dû laisser son enfant de 12 ans à Bora Bora, ses grands frères s’en occupent. Il a aussi dû arrêter de travailler pour venir se soigner. « C’est dur, très dur », admet Gilles même s’il préfère relativiser. « On est pris en charge par la CPS [Caisse de Prévoyance Santé], on a un logement ici donc ça va comparé à d’autres ».

Dépistage défaillant

L’offre des soins est complexe en Polynésie française. Ce territoire aussi vaste que l’Europe compte neuf établissements hospitaliers, dont six, sur Tahiti. Une réalité qui oblige les malades des îles à devoir quitter leur foyer pour se faire soigner. « Ils sont coupés de leur famille, ils laissent mari et enfants, ils vivent cette épreuve loin de tous. C’est compliqué ! » constate Natacha Helme, la présidente de la Ligue contre le cancer. Il n’est pas envisageable de mettre des hôpitaux dans chaque île, mais l’idée d’avoir un établissement sur une île importante permettant un accès pour toutes celles avoisinantes serait une bonne option, estime la responsable de la Ligue. « Le vrai problème reste la détection : si on détecte vite, on évite un parcours lourd et donc ce genre de situation. En Polynésie, il y a un vrai souci avec le dépistage. L’accès n’est certes pas optimal, mais il y a clairement un manque de conscience de l’importance du dépistage. Pour le cancer du sein, encore trop de femmes trouvent une excuse pour ne pas le faire : c’est fiu [on a la flemme], ça fait mal, ça fait honte, on a peur… Il est encore trop lié à la mort. On doit dédramatiser, surtout que la prise en charge ici est bonne, on a de bons experts, on est plus autonome depuis une dizaine d’années. Les évasans sont réservées aux cancers compliqués ». Le récent rapport d’une mission de l’INCa, l’institut national du cancer, pointe du doigt une mauvaise organisation des dépistages, mis en place depuis 2003, et un vrai problème de coordination entre les services du Pays et les associations. Conséquence : à peine 40 % des femmes se font dépister pour le cancer du sein, qui est pourtant le premier cancer en Polynésie avec 163 cas annuels. Des mammographes sont à disposition aux îles de la Société, deux aussi dans les îles Marquises, mais ce n’est pas suffisant. « Se déplacer sur un lieu de dépistage n’est pas toujours simple, même sur Tahiti. Certains vivent dans les vallées et sont sans voiture », explique Teanini Tematahotoa, directrice du nouvel Institut du cancer de la Polynésie française (ICPF). La structure a vu le jour en 2021, le nouvel établissement est en cours de construction, mais l’équipe mène déjà des actions. Le dépistage fait partie des priorités. « On a mis en place ave

Jeanne Puputauki, la résiliente Déjà mutilée à la suite d’un accident de voiture, Jeanne Puputauki s’est fait enlever le sein gauche il y a quelques années. Un choc pour cette Polynésienne contrainte encore aujourd’hui de vivre loin de son île natale.  « Quand on m’a annoncé le cancer, j’ai alors pensé que c’était la fin. » Assise en bout de table, Jeanne fait des pauses, elle cherche ses mots. La chevelure grise, le cou paré d’une fine écharpe qui cache sa poitrine couverte d’un t-shirt, elle raconte. Elle n’est pas à l’aise avec le français. Chez elle à Rikitea, on parle le mangarévien. Elle est née sur cette île de l’archipel  Gambier, le plus éloigné de Tahiti. Aujourd’hui, elle vit à Tahiti, depuis que le couperet est tombé en 2020. Les médecins lui diagnostiquent un cancer du sein. La tumeur doit être retirée, le sein avec. Elle est évasanée sur Tahiti, elle ne pensait pas partir longtemps, pourtant elle y est toujours. Il y a deux ans, Jeanne a subi une mastectomie en plus de la radiothérapie et chimiothérapie. « Des fois, je fais ma prière pour rester encore en vie. Aujourd’hui encore, j’ai peur. » Ce cancer a bouleversé sa vie, elle qui vit pourtant déjà avec un bras amputé suite à un accident dans sa jeunesse. Elle ne pensait pas être mutilée une deuxième fois. « C’est dur de perdre son sein, on perd sa féminité. » Dans quelques mois, elle doit fêter ses 80 ans, son vœu : rentrer chez elle. Son médecin lui déconseille, elle est surveillée pour son deuxième sein. Jeanne est obligée d’accepter sa condition et de passer d’une maison à une autre chez sa famille à Tahiti. Son cancer a été reconnu comme étant lié aux essais nucléaires, elle a été indemnisée par le CIVEN, le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires , mais les experts n’ont pas pris en compte les conséquences psychologiques et financières de sa pathologie. « Je dois payer la famille ici, pour l’hébergement. C’est difficile, car je n’ai pas d’aides du Pays ». Une épreuve de plus qu’elle aborde avec résilience.

Jeanne Puputauki, la résiliente
Déjà mutilée à la suite d’un accident de voiture, Jeanne Puputauki s’est fait enlever le sein gauche il y a quelques années. Un choc pour cette Polynésienne contrainte encore aujourd’hui de vivre loin de son île natale.
« Quand on m’a annoncé le cancer, j’ai alors pensé que c’était la fin. » Assise en bout de table, Jeanne fait des pauses, elle cherche ses mots. La chevelure grise, le cou paré d’une fine écharpe qui cache sa poitrine couverte d’un t-shirt, elle raconte. Elle n’est pas à l’aise avec le français. Chez elle à Rikitea, on parle le mangarévien. Elle est née sur cette île de l’archipel Gambier, le plus éloigné de Tahiti. Aujourd’hui, elle vit à Tahiti, depuis que le couperet est tombé en 2020. Les médecins lui diagnostiquent un cancer du sein. La tumeur doit être retirée, le sein avec. Elle est évasanée sur Tahiti, elle ne pensait pas partir longtemps, pourtant elle y est toujours. Il y a deux ans, Jeanne a subi une mastectomie en plus de la radiothérapie et chimiothérapie. « Des fois, je fais ma prière pour rester encore en vie. Aujourd’hui encore, j’ai peur. » Ce cancer a bouleversé sa vie, elle qui vit pourtant déjà avec un bras amputé suite à un accident dans sa jeunesse. Elle ne pensait pas être mutilée une deuxième fois. « C’est dur de perdre son sein, on perd sa féminité. » Dans quelques mois, elle doit fêter ses 80 ans, son vœu : rentrer chez elle. Son médecin lui déconseille, elle est surveillée pour son deuxième sein. Jeanne est obligée d’accepter sa condition et de passer d’une maison à une autre chez sa famille à Tahiti. Son cancer a été reconnu comme étant lié aux essais nucléaires, elle a été indemnisée par le CIVEN, le comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires , mais les experts n’ont pas pris en compte les conséquences psychologiques et financières de sa pathologie. « Je dois payer la famille ici, pour l’hébergement. C’est difficile, car je n’ai pas d’aides du Pays ». Une épreuve de plus qu’elle aborde avec résilience.

c les communes le Tarona Tere : on va chercher les femmes pour faire la mammographie, on va vers elles. On voudrait aussi le faire dans les îles ». Des efforts sont consentis pour améliorer le dépistage, mais un gros travail reste encore à faire.

Mieux informer, mieux connaître

Là où le bât blesse, c’est la prévention. Elle est clairement défectueuse, elle ne représente que 3 % des dépenses de santé. Rien, par exemple, sur le cancer de la peau, soulève le rapport de la mission INCa, si peu, admet la présidente de la Ligue contre le cancer. « C’est pourtant la base de tout, car de ça va découler des solutions comme une prise en charge précoce. On va aussi éviter des traitements lourds ». Depuis trois ans, Natacha Helme et son équipe interviennent auprès des jeunes dans les lycées, parfois avec les plus petits. L’intérêt est double : apprendre les bons gestes dès le plus jeune âge et leur faire passer un message qu’ils retransmettront chez eux. « Pour le sein, par exemple, on voit qu’en touchant les jeunes, ils en parlent ensuite à leur mère. Il faut qu’on informe, qu’on parle pour mieux convaincre ». Autre pan de la prévention à développer, soulève le rapport INCa : la lutte contre le tabagisme, l’obésité ou la consommation d’alcool. En Polynésie, la prévalence du surpoids et de l’obésité est la plus élevée au monde, le tabagisme touche plus de 70 000 citoyens. Le nucléaire est aussi un autre facteur, une information omise par le rapport, mais pas par l’association 193, qui s’occupe des victimes du nucléaire sur le territoire. Les cancers les plus importants en Polynésie sont ceux du sein, de la prostate et du poumon. Deux d’entre eux, le sein et le poumon font partie de la liste des maladies dites radio-induites, c’est-à-dire possiblement liées aux essais nucléaires. Entre 1966 et 1996 193 tirs ont été effectués à Moruroa et Fangataufa. L’impact sanitaire a été reconnu par l’État, sa prise en charge est plus compliquée. « On ne dit pas que tous les cancers sont liés au nucléaire, mais on fait le constat qu’il y en a de plus en plus. Les cancers du sein et du poumon sont très élevés. Mais on manque encore de données », regrette Lena Normand. La vice-présidente de l’association dénonce une absence d’information du registre des cancers. Instauré en 1980, il manque de fiabilité, avant 1990, seuls 50 % des cas étaient enregistrés. Aujourd’hui, il est repris en main par l’ICPF, chargé de remettre de l’ordre dans les données. Depuis une dizaine d’années, une dynamique est lancée, le chemin à parcourir reste encore long, mais la voie est tracée.

 

 

Quelques chiffres
sur la période 2015-2019 :
Les tumeurs solides les plus fréquentes chez la femme sont [en moyenne par an] :
Le cancer du sein avec 163 cas.
Le cancer du corps utérin
Le cancer du poumon avec 42 cas.

Les tumeurs solides les plus fréquentes chez l’homme sont :
Le cancer de la prostate avec 128 cas.
Le cancer du poumon avec 84 cas.
Le cancer colorectal avec 32 cas.
Cancers pédiatriques : 10 cas.
Leucémie représente un tiers, sarcomes 17 % et lymphoïdes 12 %

Texte & Photos de Suliane Favennec