Cet article est a retrouver dans le n°10 de Boukan

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Le bassin du Haut-Maroni est une vaste terre amérindienne, cernée de fleuves et de forêts, mais encore peu fréquentée par les touristes. Les paysages, la diversité des espèces rencontrées sont autant d’attractions pour les voyageurs en quête de nature. L’office de tourisme de l’Ouest guyanais expérimente une approche écotouristique pour les photographes amateurs. Reportage sur la rivière Tampok.

Juillet 2022, Maripasoula.

C’est ici, dans la plus grande commune de France par sa superficie, que débute le séjour “Zoom sur Tampok” imaginé par la petite équipe de l’Office de tourisme de l’Ouest guyanais. L’objectif ? Expérimenter un séjour dédié à la pratique photographique, qui sera ensuite proposé aux touristes en France, et en Guyane. Faune, flore, cultures amérindiennes, paysage fluvial et forestier constituent des atouts qui ne sont pas encore bien référencés par les voyagistes de l’Hexagone. Johan et moi-même, en tant que photographes professionnels, nous aurons la mission d’encadrer les participants enthousiastes de ces quelques jours, accompagnés de Powell, guide de l’office du tourisme et enfant du pays, et de Véronique, apprentie photographe de cette expérience.
Maripasoula est la porte d’entrée du Haut-Maroni. Au nord de ce bourg métissé, frontalier du Suriname, le fleuve abrite majoritairement des populations businenge. Au sud, qui est notre direction pour rejoindre la rivière Tampok, il s’agit exclusivement de villages amérindiens, essentiellement wayana. C’est d’ailleurs l’origine de nos deux guides, Stan et son oncle Maurice, qui nous embarquent depuis le lieu de rendez-vous, l’embarcadère du club de kayak. Stan est un jeune guide qui a monté son entreprise Authentik Tropik il y a peu, et il s’est spécialisé dans la visite des monts Tumuc-Humac, cette lointaine zone frontalière située au sud du Parc amazonien de Guyane, et constellé de magnifiques inselbergs. Mais cette fois, nous allons nous engager sur un autre affluent du Maroni. La fileuse en aluminium, poussée par ses 60 CV, nous emporte rapidement là où le fleuve se scinde en deux rivières, le Lawa et le Tampok, un partage des eaux surplombé par le petit village d’Élahé. Dans la torpeur de cette fin de matinée, nous le traversons à la rencontre du chef coutumier, non sans avoir visité son tukusipan, le magnifique carbet communautaire. Construit de bois rond, de perches, et de feuilles de waï [palmier] pour la couverture, l’ouvrage a déjà une dizaine d’années, il est un peu défraîchi et le jour perce à quelques endroits, mais son architecture est encore remarquable et photogénique. Il est tristement concurrencé par une église évangélique, située à quelques encablures, sans grand intérêt, mais qui semble plus fréquentée et entretenue par les villageois.
Nous voilà ensuite sur le Tampok, dont Stan et Maurice sont natifs. Kayodé, leur village, est situé à quelques kilomètres de l’embouchure. C’est le dernier lieu habité vers l’amont. Plus animé qu’Élahé, il y règne une atmosphère paisible et familiale. Le temps de partager un repas dans le carbet-cuisine de Maurice, cochon-bois boucané et galettes de cassave, et nous irons remplir les jerricans d’eau potable, charger les bidons d’essence, pour repartir. Quelques centaines de mètres plus en amont du fleuve, flotte une vieille barge métallique décrépie qui barre l’accès avec de longs filets. Quelques adolescents en treillis surgissent à l’arrivée de notre pirogue, il s’agit bien d’un barrage des forces armées de Guyane. Contrôle d’identité, une simple liste de papier détermine qui aura le droit de franchir cette improbable frontière. La scène est assez surréaliste et presque comique, mais leur présence s’avère indispensable pour limiter la circulation des garimpeiros dans la zone.
Passée cette ultime étape, nous nous éloignons vraiment, vers des contrées vides d’hommes et définitivement sauvages. Il est temps d’ouvrir l’œil pour surprendre la faune guyanaise, c’est pour cela que nous sommes là !
Mais les animaux de la forêt guyanaise ne sont pas ceux d’un safari dans la savane africaine, et il faut s’armer de patience, d’un œil affuté pour les apercevoir, ainsi que d’un bon téléobjectif. Les cabiais (Hydrochoerus hydrochaeris), la plus grosse espèce de rongeurs du monde, seront les premiers à se faire surprendre, au détour d’une rive broussailleuse, non loin d’un affluent important du Tampok, la rivière Waki. Quelques vols de toucans et de couples d’aras plus tard, la pirogue débouche sur un espace large fait de multiples embranchements labyrinthiques, sous un grondement caractéristique, le saut Tampok. Nous abordons sous la marche du saut par une plage de sable, une île cernée par le torrent. C’est ici que nous monterons les « carbets bâches », selon la terminologie guyanaise, c’est-à-dire un hamac entre deux arbres protégé par une bâche tendue par des cordes, un système sommaire, mais confortable.

Saut Tampok

Un peu enfarinés, nous partons le lendemain matin sur un layon situé en face de l’île, probablement emprunté par des orpailleurs il y a quelques années. Une bambouseraie rend rapidement notre progression difficile, mais la posture rampante a le mérite de nous mettre face à notre première empreinte, celle toute récente d’une belle patte de jaguar. Ce sentier s’avère être un véritable boulevard de la faune locale, Stan et Maurice nous montrent des traces de maïpouri (Tapirus terrestris) et de biches. Les milieux se succèdent de manières variées, cambrouze, forêt inondée, forêt de crêtes où nous tombons sur un couple de hoccos (Crax rubra), de grands oiseaux noirs au bec jaune, appréciés pour leur chair. La chaleur est lourde, nos appareils reflex aussi et Johan porte en plus un drone ; nous nous arrêtons avec bonheur au pied d’une jolie cascade pour un moment rafraîchissant. Un petit caïman à lunettes (Caïman crocodilus) se cache sous les rochers de la crique ; mais bien trop vite pour que je puisse déclencher une photo. La lumière de l’après-midi disparaît rapidement sous la canopée des arbres, nous retournons au camp aussi discrètement que possible en espérant une nouvelle “ obs ”. Des bruits dans les feuillages, une odeur caractéristique, ce sont des babounes (Alouatta seniculus) qui sont installés au-dessus de nos têtes. Mais leurs pelages roux resteront lointains pour nos objectifs.
Stan nous donne une nouvelle chance de surprendre la faune à la tombée du jour. Frontales vissées sur la tête, notre équipe d’apprentis touristes embarque pour une sortie pirogue en nocturne. Les animaux sont souvent moins farouches la nuit, et certaines espèces sont même assez faciles à repérer lorsque leurs yeux réfléchissent la lumière sur la rive. La récolte sera bonne, et c’est ainsi que nous pourrons rencontrer de beaux spécimens de boa de cook amazonien (Corallus hortulanus) de près de 2 mètres, quelques caïmans, mais aussi une avifaune parfois en plein sommeil, comme ces martins-pêcheurs (Chloroceryle amazona) blottis assoupis les uns contre les autres.

Plein Sud

Voyager sur les rivières de Guyane, c’est aussi remonter des rapides, et les franchir à la manière des saumons (ou plutôt du poisson-Coumarou sous ces latitudes) en quête de leur lieu d’origine. Le jour suivant, nous pousserons ainsi la fileuse dans le courant, sur les indications de Stan et de Maurice, l’un comme “takariste”, et l’autre comme pilote au milieu des salades de Coumarou (Mourera fluviatilis), ces plantes aquatiques aux fleurs roses qui émergent sur les sauts à la saison sèche. Une expérience éprouvante physiquement, tant la puissance de l’élément surprend le non initié. Pendant une centaine de mètres, il faut alterner traction, poussée en appui sur les roches, pied nus de préférence, et tir à la corde, avec concentration et à l’écoute de nos guides, car les déplacements dans le chaos du courant s’avèrent périlleux. Épuisés mais euphoriques après ce combat, nous serons autorisés à nous enfoncer plus loin dans les méandres du Tampok, plein sud. Les rives semblent plus sauvages que la veille, sans que nous ne puissions vraiment l’expliquer, nous pénétrons dans le cœur du Parc amazonien de Guyane, la zone centrale la plus réglementée du parc national, qui couvre près de 2 millions d’hectares. Récompense ultime, nous croisons une jeune harpie féroce (Harpia harpyja), postée dans les feuillages, à quelques mètres. Il ne manquerait pour me combler qu’un petit groupe de loutres géantes (Pteronura brasiliensis), et nous savons qu’elles se cachent non loin d’ici, et la liste de “ coche ” de l’apprenti naturaliste du Maroni serait presque complète.
Sur une magnifique dalle de roche, à l’ombre d’accueillants feuillages, nous accostons à la tombée du jour. Stan, poussé par son inusable énergie, se lance dans la construction de notre campement. En quelques coups de tronçonneuse, et à partir d’une paire de jeunes arbres, nos deux guides dressent rapidement deux carbets sommaires. Les hamacs et moustiquaires sont installés en vitesse, nous attendons avec impatience de prendre l’apéro et le traditionnel ti-punch dans les dernières lueurs du couchant. La nuit tombe ici comme un rideau, elle nous invite à immortaliser sa voûte étoilée sur les capteurs photo des caméras.

Stan

La découverte de l’écosystème forestier ne prend son sens que grâce aux savoirs et à l’expérience des guides. Stan et Maurice sont des compagnons indispensables pour comprendre le Tampok, nous vivons dans une forme d’immersion dans le quotidien amérindien. Remonter ces sauts et parcourir ces distances, c’est aussi penser à subvenir aux besoins de la communauté, ramener du poisson et de la viande boucanés, une mission essentielle pour la vie du village de Kayodé, qui est l’un des plus isolés de Guyane. Grâce à eux, nous nous sentirons moins comme des pièces rapportées dans ce décor équatorial, et le talent de Stan est aussi sa capacité à faire le pont entre ces univers bien différents, celui de la vie wayana, et celui du visiteur, qu’il soit du littoral guyanais ou de l’Hexagone. Comme il le raconte à la fin du documentaire “ Retour aux sources”, Stan est revenu du nord de la France où il a passé une partie de sa jeunesse, pour retrouver le fleuve et « faire goûter à d’autres la possibilité de goûter cette vie à travers l’écotourisme, le privilège de cette vie simple et authentique, pour éveiller la conscience à ce monde unique et en danger ».

Texte & photos P-O Jay, Johan Chevalier

Séjours photo avec l’OTOG

L’Office de Tourisme de l’Ouest Guyanais lance ses premiers séjours photo et ambitionne de faire découvrir la biodiversité locale à travers l’activité photo.
Créé en 2020, l’OTOG est un Établissement public industriel et commercial (EPIC), chargé de la promotion touristique sur le territoire de la Communauté de Communes de l’Ouest Guyanais (CCOG).
Vous êtes passionnés de photos et d’aventure ? Vous souhaitez apprendre de nouvelles techniques de photos ou vous perfectionner ? Le séjour est ouvert à tous les publics, du débutant au photographe confirmé.
Embarquez avec nous au 0694.13.82.96 ou info.otog@gmail.com
Pour ce projet, l’OTOG est soutenu par l’Office Français de la Biodiversité (OFB) et le Parc Amazonien Guyanais (PAG).