Des amérindiens du Haut-Oyapock ont été conviés par la Maison des cultures du monde à participer au 15ème Festival de l’imaginaire à Paris. Dix danseurs-musiciens se sont rendus dans l’hexagone pour présenter leurs danses et leurs musiques et partager la richesse de la culture wayampi.

Autour de Trois-Sauts, haut-Oyapock, Guyane française, mai 2011.
A l’extrême sud de la Guyane, sur la rive française du fleuve Oyapock, plus de 300 amérindiens wayampi vivent dans des villages accessibles uniquement par voie fluviale ou par hélicoptère. Lorsque les eaux sont basses, il faut jusqu’à deux jours de pirogue pour les rejoindre depuis le bourg de Camopi. Deux jours de navigation, de rapides à franchir et de pirogue à tirer. Deux jours durant lesquels la forêt sert de décor aux voyageurs. Deux jours d’immersion dans l’immensité amazonienne. L’homme est pourtant bien présent, malgré cette impression de solitude : durant ce trajet, il est fréquent de croiser du monde ou tout du moins des indices de passages récents. Ici et là il y a des traces de campements ou un feu encore fumant avec quelques restes de repas témoignant des nombreux voyages effectués vers Camopi.
Après ce long périple, l’arrivée à Trois-Sauts et ses hameaux reste un moment inoubliable : les pontons, les maisons et les carbets se dévoilent à chaque virage, les enfants rient et plongent dans le fleuve, des hommes partent à la pêche, des volutes de fumée s’élèvent dans le ciel. La vie de village s’offre au regard. Et en ce début du mois de mai, certains habitants s’activent particulièrement.
Promouvoir la diversité culturelle

En effet, pour cette “Année des Outre-mer en France”, la Maison des cultures du monde (MCM) a choisi de mettre à l’honneur la diversité culturelle des régions ultramarines en invitant dix danseurs-musiciens du Haut-Oyapock à représenter la Guyane à Paris en participant au 15ème Festival de l’Imaginaire. L’année précédente, Pierre Bois, conseiller artistique de la MCM et Jean-Michel Beaudet, ethnomusicologue travaillant depuis plus de 30 ans chez les Wayampi, se sont rendus à Trois-Sauts pour proposer aux habitants de participer à ce spectacle parisien. Pour Jean-Michel Beaudet, cette participation dépasse le cadre d’une simple représentation : « Nous n’avons pas affaire à des artistes professionnels, ni à un groupe folklorique. Ces danses et ces chants ont encore cours et ont un sens dans la vie quotidienne. Il y a une dimension quasi-diplomatique à tout cela ». En acceptant l’invitation, la troupe wayampi offre en quelque sorte un présent à la France. « Nous sommes dans un rapport qui pourrait s’apparenter à un échange de Nation à Nation », poursuit Jean-Michel Beaudet. Au-delà du spectacle, cette participation a bien pour objectif de rappeler au public que le territoire français abrite de nombreuses cultures et notamment amérindiennes.

Cependant, organiser le déplacement de dix personnes, de leurs parures et de leurs instruments depuis Trois-Sauts jusqu’à Paris requiert un minimum d’anticipation. Outre le transport de Trois-Sauts à Cayenne, la réservation des chambres d’hôtel et des billets d’avion, la validité des papiers d’identité ou encore des vaccins sont autant de tracasseries administratives qui peuvent rapidement devenir insurmontables si haut sur le fleuve. Tout comme l’obtention des permis les autorisant à voyager en dehors du département avec des pièces fabriquées à partir d’espèces animales inscrites à la Convention de Washington (CITES), telles les plumes de aras, de toucans, ou les carapaces de tortues. Pour faciliter cela, la Direction des affaires culturelles a apporté son soutien financier au projet, la Mairie de Camopi et le Parc amazonien de Guyane leur soutien logistique et administratif.

Les préparatifs

Chaleureusement accueillie par les autorités coutumières, l’équipe du Parc amazonien de Guyane, venue aider à la préparation du voyage, a eu le privilège d’être conviée à la danse prévue le lendemain au lever du jour. À 7h30, sur la bute du hameau de Lipo-Lipo, les dix danseurs sont là, réunis autour de Jacky Pawey, chef coutumier de Trois-Sauts. « Jacky est celui qui a le plus d’expérience. Il a été désigné comme chef de la danse. C’est d’ailleurs lui qui mène la plupart des danses du Haut et du Moyen Oyapock. Il est un des yemi’aya, ou ‘Maître de musique’. C’est un titre que l‘on donne aux quelques rares hommes capables de prendre la responsabilité de mener ces grandes danses » commente Jean-Michel Beaudet. Les autres danseurs ont été choisis en fonction de leur maîtrise du répertoire et de leur appartenance aux différentes grandes familles du village. Rassemblés autour du cachiri (bière de manioc), ils font un point sur le déroulement de cette danse très codifiée, dont l’enchaînement des séquences durera jusqu’au soir. Un marathon de près de 12 h ! Jacky est encadré par Charles Miso et Laurent Pilaoukou qui sont ici les danseurs-piranhas.

Tous apprêtent les instruments associés à cette danse, différentes sortes d’aérophones* taillés dans du bois canon et des bambous. Au bout du kõõkõõ joué par Jacky (grande clarinette à plusieurs anches) est accroché un poisson en bois, rappelant que dans ce théâtre musical, les danseurs représentent des poissons. « Ils vont réaliser l’une des grandes danses des poissons, la danse du poisson Paku*. Ce n’est pas une répétition exacte du spectacle parisien qui lui ne durera qu’une heure, mais plutôt une fête pour célébrer le départ à Paris et tester leur endurance et leur maîtrise des chants. » précise Jean-Michel Beaudet.

Une leçon d’écologie

Vêtus d’un long kalembe* rouge, celui des jours de fête, ils ont enfilé leurs capes fabriquées avec de l’écorce de l’arbre maho-cigare. La danse débute, alternant séquences chantées et séquences instrumentales. Le meneur frappe régulièrement le sol de son pied droit. Au moment où les danseurs soufflent dans leurs instruments, les deux danseurs piranhas viennent se placer autour du meneur : la chorégraphie de la danse se modifie et son rythme se fait plus soutenu. À chaque changement de séquence, les hommes effectuent une courte pause et des femmes leur apportent des calebasses de cachiri. Les chants associés à cette danse sont une leçon magistrale d’écologie sur le Paku* (Myleus paku). Ils évoquent les interactions de cette espèce avec son milieu naturel, sa biologie, son cycle de vie, ses relations avec les hommes, etc. C’est une façon de transmettre et de perpétuer les connaissances et les techniques d’un peuple intimement lié aux fleuves et à la forêt.
Les habitants des hameaux voisins sont venus en nombre pour assister à cette fête. Pour le plus grand plaisir des anciens, de nombreux jeunes sont présents, observent et photographient la danse. Et même si quelques-uns ont abandonné le kalembe au profit de baggys et de longs tee-shirts, ils semblent porter un intérêt non dissimulé à ce qui se déroule. Au fur et à mesure du déroulement de la danse, des femmes et des jeunes filles intègrent la chaîne. Ici une femme allume de l’encens que ne doivent pas regarder les musiciens, sous peine de devenir aveugles. Une autre jette de la farine de manioc sur les danseurs pour éviter que des catastrophes ne s’abattent sur les récoltes à venir. Là, trois personnes attisent un feu que devront défier deux par deux les danseurs.

La fin de la chorégraphie, à 18h, sera marquée par une séquence symbolique provoquant l’hilarité générale, lorsque trois hommes se saisissent d’arcs et de flèches pour chasser les trois meneurs Pakus.

Au cours de cette danse, un travail d’archivage vidéo et photographique a également pu être effectué par les agents du Parc national.
« D’habitude les habitants de Trois-Sauts tiennent à leur tranquillité et veillent à ce que leur image ne soit pas utilisée à des fins qu’ils ne partagent pas. Ils n’aiment pas trop voir des gens débarquer avec des caméras et des appareils photos, car ils ont eu de mauvaises expériences. Mais, là, ils sont les acteurs de ce projet et ils veulent bien évidemment en garder une trace » explique Jean-Michel Miso, responsable de l’antenne du Parc amazonien de Guyane à Trois-Sauts.

L’ovation parisienne

Après cette intense journée, le départ approche. Le lendemain est donc entièrement consacré à la fabrication des instruments qui seront emmenés à Paris. Les bois et roseaux doivent rester verts pour sonner, ce qui explique cette fabrication de dernière minute. Le surlendemain, les dix musiciens partent à la pêche et à la chasse afin de laisser suffisamment à manger à leurs familles durant leurs 15 jours d’absence. Le voyage à Paris s’effectue dans l’excitation. Jérémie Mata, agent wayampi du Parc amazonien de Guyane les accompagne avec sa caméra. Il y a chez lui un sentiment de fierté de pouvoir, grâce à son travail au sein de sa communauté, contribuer à faire rayonner la culture des siens. Il pense à ses grands parents disparus, qui avaient eu l’occasion en d’autres circonstances de fouler les planches du Festival d’Avignon en 1987, aux côtés de Jacky Pawey.

Pour tous, ce voyage est aussi l’occasion de découvrir la capitale française et d’observer l’architecture parisienne avec curiosité : la hauteur des constructions donne le vertige et les galeries du métro amusent. Au programme également, quelques courses pour ramener des souvenirs et des présents à ceux qui sont restés au village. Plusieurs kilos de petites perles colorées en plastique, utilisées pour la fabrication de bijoux, vont compléter les bagages du retour.

Au final, c’est non sans une certaine émotion que les amérindiens wayampi du Haut-Oyapock sont montés sur les planches et ont donné au public parisien une représentation digne de la richesse de leur culture : leur présence sur scène, la puissance de leurs instruments et de leurs mouvements ont conquis l’audience.