En architecture, l’avenir se construit à partir du passé. Lorsqu’on se projette dans une trentaine d’années, l’image qui se démarque d’une Guyane urbaine est celle de maisons en bois ou en briques de terre cuite, respectant l’environnement et peu consommatrices d’énergie. Elles auront pour nom « maisons bioclimatiques ».
Sur ce sujet, les architectes s’accordent : les matériaux traditionnels devront être la source principale des logements du futur. Si l’on ne veut pas détruire la forêt en y piochant de façon anarchique et massive pour répondre à la demande des nouvelles constructions, une production endogène et réglementée s’impose. D’après Franck Brasselet, architecte et cofondateur de Actions pour une Qualité Urbaine et Architecturale Amazonienne (Aquaa), « la production de bois local devrait doubler d’ici dix ans ». À ce propos, une idée complètement délirante il y a encore quelques années est en train de renaître dans les couloirs de l’ONF… aller chercher les bois en forêt avec des dirigeables !
« Le gros plus » de ce projet tient en ses vertus « hyper environnementales ». « Les conditions climatiques en Guyane sont parfaitement adaptées », il y aurait un approvisionnement toute l’année contrairement à l’impossibilité actuelle de maintenir un approvisionnement constant en saison des pluies en raison de l’état des pistes forestières. De plus, cela ne demande aucune infrastructure. En bref, « la solution royale » pour faire vivre les ambitions des aménageurs. Par ailleurs, le choix des essences doit dépendre de leurs propriétés mécaniques remarquables. Ainsi l’angélique est naturellement résistante aux termites alors que le gonfolo exige un traitement préalable. C’est en partie dans le but de mieux les connaître que la maison de la forêt et des bois de Guyane (MFBG), en cours de travaux, a été pensée. Son objectif étant de « contribuer au développement concerté de tous les secteurs de la filière forêt et bois ». Et c’est en partie avec cette idée que le pôle directionnel du Cnes va voir le jour. L’originalité du bâtiment réside dans « l’ossature et le plancher en bois massif local nervuré, adapté à de grandes portées et dont la qualité acoustique est excellente », résume son concepteur, Franck Brasselet. Chacun des trois étages sera élevé à partir d’une essence différente afin d’encourager les constructeurs à se servir de leurs qualités intrinsèques et à diversifier le prélèvement.

Concrètement, dans l’idéal de 2048, le département sera apte à offrir des « logements décents pour tout le monde », prédit Fabien Bermès, architecte indépendant. Il y aura de « beaux espaces verts gérés en communauté » par les riverains désireux de remettre le travail collaboratif au cœur de leur vie de quartier. Aujourd’hui le skate park de Cayenne est un bon exemple de lieu de convivialité qui permet le vivre ensemble. Consacrer davantage de temps au biotope par le biais de jardins partagés, voilà qui s’intègre dans une vision futuriste de l’habitat bien que l’usage soit à l’inverse. « Chacun construit son individualité alors que chacun doit prendre part au groupe » analysent Paul Tritsch et Brigitte Bienaimée qui ont conçu la MFBG comme un espace ouvert, sans barrière, dont le parc restera accessible aux flâneurs nuit et jour.
Par ailleurs, les résidences seront adaptées aux modes de vie locaux au lieu d’être « une réplique tropicalisée de ce qui se fait en Europe » suggère Fabien Bermès. L’enjeu est de « trouver des modèles fondamentaux » qui soient propres au territoire, renchérit Franck Brasselet. Ainsi il « devrait être obligatoire d’avoir sur tous les bâtiments des toitures végétalisées et en finir définitivement avec la tôle ».
Selon Brigitte Bienaimée, pour pallier le manque de place, les édifices devront prendre de la hauteur, car « l’habitude de s’étaler » détruit les paysages. Pour son acolyte, il n’y aura pas d’autres choix que de composer sur des zones inondables, à l’instar de la ZAC de Kourou fondée sur une ancienne savane. Le membre actif d’Aquaa, quant à lui, propose d’ériger une « Cité radieuse implantée dans la nature, complètement autonome en énergie ». Ces « petites barres » s’intègreront dans le paysage aussi bien que La Maison du fada  de Le Corbusier qui envahit tout l’espace, campée sur ses pattes en ciment. En parlant de pilotis, l’architecte guyanais envisage également de surmonter les mangroves pour ceux souhaitant « baigner dans leur environnement » au cœur d’un habitat semi-lacustre.
Finalement, le nouveau modèle d’architecture qui devrait prendre son envol demande une innovation structurelle, soucieuse des ressources et intégrée dans son milieu naturel, ce qui n’est plus qu’à quelques poignées de mains de se faire.

Texte de Clara Fabre
Illustrations de Alex-Imé , Liraat visuals , Franck Brasselet .