« Si vous aussi vous êtes indigné de voir que des multinationales viennent exploiter nos ressources sans concertation de la population et avec une prise de risque incroyable, contactez-nous ! or.bleu.contre.or.noir@gmail.com »

 

Le pétrole est-il une chance pour la Guyane ?

Pour l’instant, seul le Suriname profite réellement des retombées économiques de l’exploration pétrolière au large de la Guyane. Plus d’1 million de litres de gazole ont été consommés lors des 255 jours de forage. Ce gazole provenait exclusivement de Paramaribo, capitale du Suriname. La Guyane ? Elle a fournit le pain quotidien aux 80 ouvriers permanents de la plateforme. Autant dire, peanuts ! Et pour l’avenir, qu’est-ce qu’elle a à y gagner ? Juste une taxe, et encore, elle ne va pas être simple à mettre en place, par contre les risques sont assez conséquents.

Des retombées économiques encore incertaines :

L’octroi de mer n’est pas applicable aux équipements destinés aux forages, conformément à une loi de décembre 1968 qui prévoit que la fiscalité locale ne soit pas applicable aux activités en haute mer. Il y a une absence totale de maîtrise de la fiscalité à ce niveau. Les instances politiques locales demandent une habilitation au titre de l’article 73 de la constitution, en vue d’obtenir une adaptation de la loi autorisant la Région à taxer le pétrole produit, et à en fixer le taux localement. Il y a un imbroglio politique qui va être complexe à résoudre, et dont le poids face au consortium que sont Shell et Total laisse songeur ! Il est clair que l’état va devoir intervenir. Quel est la position des présidentiables à ce sujet ?

C’est sans compter un problème structurel concernant le port de Dégrad-des Cannes. Il s’avère que celui-ci ne permet pas aux bateaux ravitailleurs de la société exploratrice de s’approvisionner en Guyane, ce qui la prive de recettes fiscales très importantes notamment par le biais de la TSC. Des travaux d’aménagements seront-ils prévu ? Rien n’est encore décidé…

Et le prix de l’essence à la pompe en Guyane ? Il n’y a pas de lien mécanique de cause à effet avec l’exploitation pétrolière pour la simple raison que le brut ne sera de toute façon pas raffiné en Guyane, du moins, à court terme. En somme, il y a très peu de chance de voir les prix baisser.

De plus, très peu d’emploi pourront être offert aux guyanais. Les spécificités et la connaissance nécessaire aux travaux d’exploitation demande des compétences qui ne sont pas en Guyane.

Un risque écologique qui ne s’équilibre pas avec le gain potentiel :

On vient de voir que les retombées économiques ne sont pas au rendez-vous, alors que le risque est bien là. Une marée noire vient d’avoir lieu au large de Rio lors d’un forage d’exploration à seulement 1200 mètres de fond, alors que le forage en Guyane atteint 2050 mètres, un record en Europe ! En cas de marée noire, les secours ne peuvent pas arriver avant 48h, de l’aveu des exploitants. Ces mêmes qui reconnaissent que le milieu écologique du littoral guyanais serait impossible à dépolluer.

Il y a clairement une carence au niveau de l’Etat à ce sujet. Le plan Polmar n’est pas dimensionné pour faire face à un accident généré par une crise sur cette plate-forme. Il est dimensionné pour faire face à déversement sur un tanker d’approvisionnement. Le problème est que ce plan a été revu en 2009 et qu’il n’a pas été repensé en vue d’une exploitation pétrolière au large des côtes guyanaises. Sera-t-il revu à temps ?

La faune et la flore maritime est assez exceptionnelle, c’est notamment la plus importante concentration d’oiseaux limicoles en migration et en hivernage du nord de l’Amérique du Sud. Les plages guyanaises sont un haut lieu de ponte mondial des tortues marines, dont la tortue Luth.

On connaît déjà la sensibilisation écologique des sociétés comme Shell et Total. L’entreprise chargé de l’exploration, Tullow Oil, n’a pas l’air d’être plus que ça préoccupée par l’environnement. En effet, le CRPMEM Guyane, représentant l’ensemble des socioprofessionnels de la filière pêche, a demandé à la compagnie de réaliser une étude permettant d’établir une base de données sur l’état de « santé » des ressources halieutiques guyanaises avant le forage afin d’établir un « point zéro ». Cette demande a été officialisée par arrêté préfectoral. Deux semaines après la notifications, le CRPMEM apprend que la société Tullow envisageait de faire le prélèvement au MIR, le marché au poisson ! De ce fait, le CRPMEM Guyane a dû assumer la prise en charge intégrale d’une campagne de pêche expérimentale en mer, en collaboration avec le WWF Guyane, permettant d’échantillonner certains spécimens de poissons et de crevettes à la base. Tullow Oil refusant de prendre en charge les coûts pourtant dérisoire face au 255 millions d’Euros dépensés pour l’exploration.

Non-information et déni de démocratie :

A l’heure actuelle, le droit est ancien en la matière et ne prévoit pas la consultation du public. C’est suite à la sollicitation de Guyane Nature Environnement en Octobre 2010 que le Préfet a répondu favorablement et a pu informer l’association des travaux, de l’étude d’impact et des dangers produits par l’entreprise. Il est certain que l’information du public a été minorée, n’a pas été satisfaisante et a été vraiment tardive, à 3 mois seulement des débuts des travaux.

Après, au-delà de l’information il y a la consultation ou la concertation avec la population guyanaise. Et elle n’a rien vu passer ! Les permis de recherche s’étende sur plusieurs milliers de kilomètres carrés. C’est une superficie qui est considérable et sur laquelle l’Etat est le seul maître à bord en termes d’instruction et de délivrement. Quand on compare avec les permis délivrés au Guyana et au Suriname, le message des politiques français envoyé à la société Tullow est clair : trouvez-nous du pétrole !

Pourtant, le 12 octobre 2010, suite à la catastrophe dans le Golfe du Mexique, la Commission Européenne publiait un document indiquant qu’« en attendant que les résultats complets des enquêtes sur les causes de l’accident de Deepwater Horizon soient disponibles, que les efforts du secteur en vue de renforcer la sécurité des opérations apportent des résultats concrets et que la campagne pour renforcer le cadre réglementaire en Europe ait abouti, il convient de faire preuve de la plus grande modération et d’un surcroît de prudence, tant en ce qui concerne les opérations de prospection et d’exploitation en cours que les nouveaux plans et les nouvelles autorisations ». Le Préfet de Guyane aurait-il oublié de lire ce document ?

Beaucoup pense que le Préfet et la société Tullow Oil ont tout fait pour commencer le forage avant que la nouvelle règlementation européenne ne soit adoptée, cet été 2011. Pourtant, le 10 février 2011, Maïouri Nature Guyane publiait un communiqué de presse ayant pour titre « Moratoire sur le démarrage du forage pétrolier ». Le Préfet Daniel Ferey y était directement interpellé : « Malgré plusieurs courriers alarmants en provenance d’associations environnementales comme Greenpeace ou Guyane Nature Environnement, vous n’avez pas jugé bon de surseoir à l’autorisation d’exploration pétrolière au large du littoral guyanais ».

L’avis de la population guyanaise n’a pas été récoltée. Il est vrai que le droit n’oblige pas de demander à quelque représentant civil son avis sur la question. C’est quand même relativement incompatible avec les standards de la démocratie du 20ème siècle. En clair il est urgent de faire quelque chose. D’autant que, suivant les études du courant marin, seul les mangroves du nord de la Guyane serait touché. Le Suriname serait souillé jusqu’à Paramaribo, et les courants marins emporteraient des rejets jusqu’au Venezuela… Ces pays ont-ils été concertés ?

L’Union Internationale pour la Conservation de la Nature a demandé au gouvernement français d’adopter un moratoire sur l’exploitation pétrolière profonde en Guyane et de renforcer la politique d’économie d’énergie et le soutien aux énergies renouvelables compatibles avec la sauvegarde de la biodiversité en outre-mer. Cette demande est restée sans réponse à ce jour.

Aller de l’avant :

La Guyane a un fort potentiel en énergie renouvelable, encore peu exploité. Sa superficie représente 1/5ème de la France, recouverte de forêt. La biomasse, le soleil, l’eau sont en abondance pour une population de seulement 230 000 âmes. Il y a de plus un fort potentiel en terme de sobriété et efficacité énergétique. Les transports en commun sont quasi-inexistants, les transports doux peu valorisés, l’architecture bioclimatique trop peu mise en œuvre…

Tant qu’il ne faudra pas dépenser plus d’un baril de pétrole pour aller chercher un autre baril au fond des océans, ces compagnies braveront tous les dangers et iront de plus en plus loin, de plus en plus profond. La Guyane, et la France, souhaite-t-elle participer à cette course à la prise de risque ?

Les politiques ont à leur portée un arsenal de dispositions légales pour décider de l’avenir énergétique de la Guyane. Tout le monde sait que le pétrole n’est pas l’énergie du futur. A l’heure où un véritable développement durable s’impose, la société civile guyanaise, qui ne s’est pas encore prononcée, saura-t-elle influer sur les choix à prendre dans ce domaine ?

Infographie de données :

J’ai réalisé cette infographie à titre personnel pour permettre une lecture rapide des enjeux de l’exploitation pétrolière. Je remercie tous ceux qui m’ont aidé à son élaboration, ils se reconnaitront ! Les données sont tirées de divers rapports émanant de : Tullow Oil, DEAL Guyane, GNE, IFREMER, CRPMEM, Kwata, Gepog, Sepanguy…