Atteindre l’autonomie énergétique dans les DROM à l’horizon 2030, c’est l’ambition portée par la loi Transition énergétique pour la Croissance verte, votée en France en 2015. La Réunion sera le premier territoire à produire en 2024 une énergie « 100 % renouvelable ». Outre le solaire, l’éolien ou l’hydraulique, la bagasse, résidu fibreux de canne à sucre, est aussi une source d’énergie. Explications.

En matière de transition énergétique, il est important de se mettre d’accord sur les termes. Aussi, les Nations Unies définissent les énergies renouvelables comme étant  « des énergies provenant de sources naturelles qui se renouvellent à un rythme supérieur à celui de leur consommation ». On parle donc de l’énergie du soleil, du vent, de l’eau… en opposition aux énergies fossiles : pétrole, gaz et charbon. Et dans ce domaine, l’histoire de La Réunion a été marquée par l’utilisation de ressources naturelles. « L’île était autonome en énergie jusqu’en 1985, grâce aux barrages hydrauliques », détaille Philippe Grammont, directeur de la DEAL, la Direction de l’environnement, de l’aménagement et du logement, à La Réunion. Mais les choses ont changé dès la fin des années 1980 en raison d’un développement rapide de l’île et de l’augmentation exponentielle du nombre d’habitants (de 550 000 environ en 1985 à plus de 863 000 aujourd’hui).
Pour répondre à une demande croissante en énergie – multipliée par 16 entre 1975 et 2015 d’après EDF -, la première centrale mondiale de cogénération à combustion hybride charbon et bagasse (résidu de canne à sucre) est créée en 1992 par Albioma, sur le site de Bois-Rouge. Puis, en 2013, la centrale thermique EDF du Port est inaugurée avec 12 moteurs diesel. Pourtant, depuis, la transition a bel et bien été engagée et permettra à la Réunion, avant la fin de l’année 2024, d’avoir une production d’électricité renouvelable à près de 100 %.

UNE TRANSITION ÉNERGÉTIQUE RAPIDE…

Début décembre 2023, la conversion de la centrale EDF PEI du Port a marqué un tournant dans la production électrique. Passant du diesel à la biomasse liquide, celle qui fournit 40 % de l’électricité de l’île s’inscrit dans une nouvelle page de la transition énergétique (cf. p18). Cette transition, encouragée par la révision en 2022 de la PPE (programmation pluriannuelle des énergies), qui fixait comme priorité d’abandonner totalement le charbon et le fioul lourd pour la production d’électricité dès 2023, sera bien accomplie avec quelques mois de retard. La part de la production d’électricité fondée sur les énergies renouvelables passera donc de 37,7 % en 2022 à quasi 100 % d’ici la fin de l’année 2024. Concerné par ce changement, Albioma, producteur d’énergie indépendant et fournisseur de 40% de l’électricité de la Réunion est notamment concerné par ce changement. L’entreprise doit achever sa sortie du charbon dans la production d’électricité d’ici la fin janvier 2024 sur les sites du Gol et de Bois Rouge. Sur ce dernier, les camions – surnommés sur l’île les cachalots tant ils débordent de canne – s’activent alors que la campagne sucrière prend fin dans quelques jours. Les immenses bâtiments de l’usine sont installés à proximité immédiate de l’usine sucrière de Bois Rouge, propriété de Tereos. « Là, c’est comme un cordon ombilical entre nous », explique Nelly Noël, responsable RSE environnement d’Albioma dans l’océan Indien, en désignant un conduit qui permet de transporter la bagasse de l’usine sucrière vers un entrepôt d’Albioma. Sous nos yeux, plus de 350 tonnes de bagasse, le stock de sécurité, qui seront ensuite transformées en énergie lors d’une combustion avec une autre source de biomasse. Ce procédé permet en effet de renvoyer de la vapeur à l’usine sucrière et de fournir de l’électricité au réseau réunionnais. « Sur nos deux centrales, ce sont 600 000 à 700 000 tonnes de charbon par an qu’il a fallu remplacer », détaille Nelly Noël. Alors, pour viser une production plus vertueuse, Albioma s’est lancé dans le développement de la ressource en local. C’est la mission de Benjamin Cousin, responsable approvisionnement en biomasse locale. Dans le dédale de l’usine de Bois Rouge, il nous conduit devant un entrepôt neuf où peuvent être stockées 2 000 tonnes de biomasse locale mis en fonction début décembre. « J’étais excité, car ça fait deux ans qu’on travaille là-dessus », sourit-il. À l’intérieur de ce hangar : du cryptoméria broyé, non réutilisable en bois d’œuvre. « On a identifié sur l’île environ 100 000 tonnes disponibles, en théorie », poursuit le spécialiste. « Mais, déjà, elles ne sont pas prêtes, ensuite on doit partager avec d’autres et, en plus, il y a un manque puisque nous avons besoin de beaucoup plus », analyse le responsable. L’objectif est de monter à 4 000 tonnes l’an prochain, mais d’ici là pour remplacer le charbon, Albioma est contraint d’utiliser des pellets de bois importés, pour l’heure, d’Amérique ou encore d’Asie.

MAIS LIMITÉE PAR LA CONSTITUTION DE L’ÎLE

« À l’horizon 2025, on vise une importation limitée à 50 %, l’autre moitié provenant de La Réunion », détaille Benjamin Cousin. Mais la question des ressources disponibles sur l’île apparaît en effet comme un frein. De plus, l’importation des pellets répond à la directive RED II (bientôt RED III), qui impose de nombreux contrôles sur la qualité de la production de la ressource. « Nous cherchons à développer la biomasse régionale, mais pour l’heure nous sommes en phase de prospection dans la zone, car nous devons garantir une production réglementaire », ajoute Nelly Noël. « À ce stade, nous ne sommes pas capables de nous approvisionner plus près avec de bonnes garanties dans le cadre des directives RED II », appuie Philippe Grammont, le directeur de la DEAL. Albioma mise aussi sur le développement d’une autre ressource : la géothermie. Ce système permet de transformer la chaleur des profondeurs de la terre en énergie. À La Réunion, deux entreprises, dont Albioma, sont en passe d’obtenir un permis exclusif de recherche. « On vise les premiers forages en 2026 », annonce Nelly Noël. Pourtant, la puissance installée ne serait disponible qu’en 2036. « L’administratif, les demandes d’autorisations… ce sont de gros freins. Alors que nous, on est prêts », explique la responsable RSE. Autant de freins qui retardent la réalisation des objectifs d’autonomie : « À l’heure actuelle, les objectifs de 2030 sont peu atteignables », concède Matthieu Hoarau, directeur général de la SPL Horizon. Une société publique locale aussi porteuse de l’Observatoire Énergie Réunion. « Il faudrait faire sauter le verrou réglementaire pour qu’on avance plus vite », avance-t-il lui aussi. Pour Matthieu Hoarau, la principale ressource à développer, c’est le solaire avec la multiplication des centrales photovoltaïques à domicile. « C’est, à l’heure actuelle, une des énergies du territoire les moins chères et la demande augmente vite. De 400 dossiers on est passé à 2 500 l’an dernier et on espère atteindre 5 000 à 10 000 installations par an », annonce-t-il. Pour autant, le seul photovoltaïque ne permettrait pas d’assurer le mix énergétique et l’autonomie de l’île en 2030 apparaît dans ce délai comme une chimère. « Pour atteindre l’autonomie à l’horizon 2050 à La Réunion, il faudrait qu’on équipe 15 à 18 % des toits des habitations », explique-t-il encore. « L’autonomie ne sera pas atteinte en 2030, c’est certain, mais c’est une trajectoire », affirme Philippe Grammont. Le directeur de la DEAL souligne des progrès notables : « La décarbonation de la production d’électricité, on est les premiers à le faire ! », rappelle-t-il. « À l’horizon fin 2024, la production sera quasi totalement décarbonée. Et en prenant le cycle de vie complet, notamment la production et l’importation du colza, des pellets… on aura une baisse des émissions de gaz à effet de serre de l’ordre de 82 % environ », salue Philippe Grammont. Après la Guadeloupe, La Réunion vient d’ailleurs d’initier sa COP régionale (Conférence des parties) qui vise à territorialiser la planification énergétique. Et l’agenda est serré, les partenaires visent une étape clé en septembre 2024, qui permettra notamment de fixer un objectif commun et local de décarbonation. D’autres ressources sont aussi à l’étude à La Réunion comme l’éolien en mer ou l’hydrogène, mais Philippe Grammont le rappelle : « Rien ne se fera sans la population qui doit aussi travailler la question de la sobriété énergétique. »
Lola Fourmy