Il se dit « Brésilien, Français, mais surtout Guyanais ». Arrivé à Cayenne il y a un quart de siècle, cet homme aux multiples visages a toujours cultivé l’art de se retrouver là où on ne l’attendait pas forcément. Quitte à s’étonner lui-même.

Ça commence par un grand rire, aussi généreux que spontané. Ça le fait marrer, José, lorsqu’on lui demande comment il a atterri en Guyane : « C’est un peu fou comme histoire », rigole-t-il, derrière ses petites lunettes rectangulaires. Cette folle histoire, José Hermenegilao Gomes pourrait la conter pendant des heures et des heures. Jamais avare en anecdotes et précisions, souvent délicieuses, le natif de Santa Victoria (État du Minas Gerais, à l’est du Brésil) a le sens de la narration. « C’est un peu grâce à mes rêves si je suis là aujourd’hui. Mais mon rêve le plus cher, c’était de partir aux États-Unis», élude-t-il, en marquant une pause. José a vingt piges. On est en 1988, « à la fin de la dictature au Brésil ». Après avoir grandi dans la région de Natal, dans le Nordeste, il rejoint l’Amapa avec la bannière étoilée qui brille au fond des yeux. Le problème, c’est qu’il a besoin de 2 000 euros pour acquérir un visa pour les States. Il n’en a « que 360 en poche ». José décide donc d’aller voir ce qu’il se passe en Guyane française.

Macapa-Cayenne… en pirogue

« Tout le monde dans le nord du Brésil savait qu’on pouvait y gagner beaucoup d’argent. A cette époque, c’était cool. 100 à 200 Brésiliens débarquaient tous les soirs en Guyane ». Comme les autres, José fait le voyage en pirogue, par la mer. De Macapá à… Cayenne, soit pas loin de 1 000 bornes à vol d’ibis. « On nous avait dit que ça prendrait trois jours », se souvient-il. Tu parles, on est finalement arrivés au bout de seize jours », au gré des courants et des galères. « C’était la folie. On a cassé plusieurs fois le bateau, il fallait en changer, s’arrêter, manger, pêcher… » Tout ça pour quoi ? « Ce que je voulais, dit-il, c’était gagner un peu d’argent pour payer mon visa pour les États-Unis, ou à la rigueur passer un diplôme français, faire prof le matin, et aller à la plage l’après-midi ». Bref, rien de plus normal pour un «bon gaillard de 21 ans», fils d’un commerçant et d’une mère au foyer. Mais lorsqu’il arrive en 1989 à Cayenne, José déchante rapidement. « J’avais du mal à trouver du travail, alors je voulais rentrer au Brésil. Un soir, confie-t-il, j’ai même fait une connerie : j’ai fait des doigts d’honneur à des gendarmes à Kourou en pensant qu’ils allaient m’expulser, mais ils m’ont arrêté, mis les menottes et m’ont relâché ». Finalement, il trouve le bon employeur dans le BTP. Gravit facilement les échelons « parce que le patron aimait beaucoup discuter politique avec moi. Alors la confiance s’est instaurée ». Il passe ensuite aide-mécanique, devient chef d’équipe. La « misère est derrière » lui, désormais. Mais José continue de vivre le plus simplement du monde. La bâche et le hamac sont toujours tendus près du chantier sur lequel il travaille, notamment celui de la “ Matourienne ” sur lequel il passera plusieurs mois.

Le premier taxico brésilien

Début 2001, José a soif de nouveau départ. Et « par chance », se dégote le nouveau boulot qui va avec et qu’il gardera pendant une décennie entière : taxico ! « Pourtant, à cette période, on ne faisait pas confiance aux Brésiliens », se souvient celui qui depuis, peut être fier d’avoir été « le premier Brésilien à conduire un taxico entre Cayenne et Rémire ». « C’était rare. Au début, je ne parlais ni français, ni créole ». José fait partie des premières centaines d’habitants venues s’installer à la BP 134, devenue officiellement cité Arc-en-ciel. « Quand le quartier a commencé a exploser, le maire (Edmard Lama) délivrait des petites parcelles, c’était moins compliqué ». D’après lui, environ 2 000 âmes vivent ici aujourd’hui.

José passe donc dix années au volant de son taxico. Mais il se lasse. Ce qu’il souhaite, c’est monter son propre business. Il n’a que 24 ans mais déborde d’ambition. Il tente de lancer sa propre entreprise de transports mais échoue, confronté à un « milieu trop fermé ». Lui vient alors un instinct grandissant qui le pousse à aider les siens. Mais aussi les autres. « Tous les gens qui ne connaissent pas forcément leurs droits ». Il passe son brevet de médiateur (culturel, social et en santé publique), fait partie de l’équipe qui fonde la Cimade en 2006, puis l’association Daac (Développement, accompagnement, animation, coopération) dont le siège se situe au cœur de son quartier. En fait, José travaille surtout à « se sentir utile ». « J’aime apporter mon soutien et mes connaissances à ceux qui en ont vraiment besoin », résume l’employé de la Daac.

« Pourquoi je suis là ? »

José porte aussi la casquette de représentant du Secrétariat aux affaires étrangères du Brésil. La coopération franco-brésilienne, il connaît. Et il a son avis sur la question. Plutôt tranché, mais réaliste. Par exemple ? « On sent bien que pour le pont de l’Oyapock, c’est plus la France qui pousse. Le problème, c’est que ce pont n’a pas été pensé et qu’il soulève toujours des bagarres dans les commissions. Personne n’est d’accord. Certains découvrent encore l’espace Schengen ! ». Il estime enfin que « les Brésiliens ont réussi à s’intégrer tant bien que mal en Guyane. Car avant, précise-t-il. On était plus assimilés à des charpentiers qui picolent et passent leurs temps à se bagarrer ». Mais aujourd’hui, « ça va mieux, dit-il, apaisé. Même s’il regrette que les « garimpeiros donnent une mauvaise image » de la population auriverde.
Son rêve américain l’aura finalement conduit ici, à la BP 134, à Rémire-Montjoly. Sans le strass, ni les paillettes. Mais avec le sentiment du devoir accompli. Et toutes ces belles histoires qui restent à raconter à ses quatre enfants. D’autant qu’aujourd’hui, José semble ne rien regretter. Les États-Unis attendront. Dans une autre vie peut-être. Quand il rentre de ses vacances annuelles au Brésil, il se demande toujours « Pourquoi je suis là ? » Et chaque année, cette même réponse qui revient : « Je me sens Brésilien, Français, mais surtout Guyanais, parce que c’est ici que je suis bien. »