Lors de son premier mandat démocratique, l’ex-dictateur des années 80 a dû composer avec ses multiples alliés de circonstance. Cette fois, le parti du président a fait cavalier seul et raflé la mise aux dernières élections. Une occasion unique de réformer le pays, selon The Economist (13/06/15). Extraits.

Quand le président du Suriname Desi Bouterse voyage à l’étranger, il est sur ses gardes. En 1999, les Pays-Bas l’ont condamné par contumace pour trafic de drogue. Il n’ose pas faire escale à Amsterdam ; alors, comme Robert Mugabe, il réquisitionne un avion de la compagnie aérienne nationale, mettant dans l’embarras les autres passagers [...] Mais les électeurs lui ont pardonné cela et bien d’autres choses encore. [Bouta] est assez populaire pour apporter le changement, il séduit les électeurs avec sa bonhomie et sa faconde en créole surinamais. [...] Son passé sulfureux a été mis de côté. En 2012, le Parlement lui a accordé l’immunité pour l’assassinat de 15 opposants en 82 [un traumatisme indélébile dans l'histoire du Suriname], dont il a endossé la responsabilité politique […] A l’intérieur du pays, son passé criminel ne semble pas avoir d’importance. Ce qui intéresse les Surinamais, c’est surtout que Bouterse leur offre d’autres perspectives que trimer à la mine, à la raffinerie ou dans l’administration.

Lors des élections du 25 mai son parti, le NDP (Parti national démocratique), a remporté une majorité nette à l’Assemblée nationale – une première depuis l’indépendance. Insuffisante, cependant : pour être élu, un candidat à la présidence doit réunir les deux tiers des voix. En cas de blocage, il reviendra à l’Assemblée populaire d’élire le président à la majorité simple. Une formalité pour Bouterse.

_DSC3098

Cette nouvelle majorité pourrait signifier la fin d’une pratique locale consistant à distribuer les postes gouvernementaux en fonction de l’appartenance ethnique. Chaque formation politique de la coalition au pouvoir représente une des nombreuses communautés du Suriname. Et depuis des décennies certains ministères, contrôlés par une seule d’entre elles, sont devenus des enclaves ethniques. Le porte-feuille des transports, par exemple, est entre les mains des Noirs marrons. Maintenant que le parti multiethnique du président est en passe de gouverner seul, Bouterse pourrait donc, en théorie, éradiquer le clientélisme au profit du développement économique. Une impérative nécessité.

Au cours de son quinquennat, Bouterse a instauré le salaire minimum, l’assurance santé pour tous, la retraite de base, la gratuité dans les cantines [et aussi supprimé les frais de scolarité dans le primaire, revalorisé les pensions et autres prestations sociales, et lancé un ambitieux programme de logements sociaux]. Dans le même temps, il a renforcé l’emprise de l’État sur l’économie. Le secteur public absorbe 60 % des emplois salariés. Le gouvernement a augmenté ses participations dans le pétrole, l’or et la bauxite, qui représentent 90 % des exportations.

Bouterse s’est inspiré de feu Hugo Chávez [qui aurait financé sa campagne de 2010 selon Wikileaks], un démagogue flamboyant, mais contrairement au président vénézuélien, il n’a pas conduit son pays à la catastrophe. L’économie a prospéré pendant le boom mondial des matières premières. Cependant cette époque est révolue, car même si la croissance est restée honorable en 2014 – 2,9 % – l’horizon se gâte : chute des réserves de change, baisse des recettes d’exportation, creusement de la dette [...] Le Suriname a besoin de se diversifier et favoriser un secteur privé en berne.

 

Un contexte économique moins favorable

Pendant son premier mandat, Bouterse a évité le chaos et l’hyperinflation que lui et ses alliés avaient créés dans les années 80 et 90. Pendant longtemps, l’économie du pays a bénéficié de la flambée des cours de l’or. Mais, à presque un tiers en dessous de son pic de 2013, ce métal précieux pourrait gâcher son second quinquennat. En 2013, la mine canadienne Rosebel a assuré près de 9 % des recettes de l’État surinamais contre moins de 5 % l’an dernier. De plus, les coûts d’exploitation sont en hausse, et la production a chuté de nouveau au premier trimestre.
Début 2015, la pénurie de devises laissait craindre une dévaluation. La Banque Centrale surinamaise a vendu des dollars US, mais pas suffisamment pour apaiser les spéculateurs. Au marché noir, le billet vert s’échangeait près de 20 % au-dessus du taux officiel. Un point noir à l’approche des élections générales. La Banque Centrale a sauvé la mise par un accord de change avec la Chine. Les importateurs s’y procurent des yuans pour payer leurs fournisseurs chinois sans passer par la monnaie américaine. Ce n’est pas un cadeau, car le Suriname est contraint de vendre des marchandises à l’empire du Milieu, ou bien de rembourser la dette sous trois ans.

Sur les autres fronts, le Suriname avance. La compagnie pétrolière publique Staatsolie achève l’expansion de sa raffinerie. Et l’américain Newmont se prépare à exploiter une mine d’or dont l’État détient 25 % des parts. En juin, le gouvernement a pris les rênes de la mine de bauxite de l’américain Alcoa. Concernant le minerai ce n’est pas une excellente opération – les réserves sont presque épuisées et le marché mondial est en berne – mais la centrale hydroélectrique qui fait partie du site va revenir dans le giron de l’État, qui n’aura plus à payer Alcoa pour s’approvisionner en électricité. Dans un horizon plus lointain, le Suriname pourrait intéresser un investisseur étranger avec les énormes réserves de bauxite des montagnes Bakhuys dans l’ouest du pays.

Le gouvernement compte aussi sur le pétrole offshore. Début 2015, l’américain Apache a exploré un puits présentant des indices d’hydrocarbures, mais le gisement ne serait pas exploitable. Actuellement, le malaisien Petronas effectue une campagne sismique. Si elle débouche sur un gisement aussi prometteur que celui découvert par ExxonMobil au Guyana en mai dernier, alors Desi Bouterse et son homologue guyanien David Granger auront un prétexte pour faire la fête ensemble…

Analyse du Trinidad Guardian (30/05, Mark Wilson, Extrait)

 

La jeunesse se retrouve dans le parti présidentiel

Chez les jeunes, Bouterse semble très populaire. Son message subtilement distillé invite la jeunesse à se libérer du passé. “ Broko a pina, tek yu gudu ” – expression populaire qui, en créole surinamais, signifie “ sortez de la pauvreté, cherchez fortune ” – serait devenu le mantra qui la fait rêver. Parmi les quelque 50 000 jeunes inscrits sur les listes électorales, trois sur quatre voteront pour la première fois. Leur enthousiasme pour le parti présidentiel s’expliquerait par deux phénomènes : un urbanisme croissant d’une part, et une culture populaire sous forte influence à la fois américano-européenne et bollywoodienne, d’autre part. […] Alors que la scène politique locale se caractérise par la multiplication des partis ethniques et l’interdiction d’empiéter sur les prérogatives de quelque communauté que se soit dans le système consociatif surinamais, on observe un phénomène de transgression qui rassemble les jeunes et que le parti présidentiel cherche à mettre en vedette et à vendre.
(Kaieteurnews, 24/05, Rishee Thakur)