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Avec 10 % de la population atteinte de diabète, l’île de La Réunion est la région la plus touchée de France. Ici, environ 83 840 personnes sont prises en charge pour cette maladie chronique. Elle tue environ 250 personnes par an, soit trois fois plus qu’en métropole.Mais pour lutter contre le diabète et ses conséquences, de nouvelles initiatives voient le jour. Reportage.

Muriel*, 64 ans, est une énergique retraitée de l’enseignement. Le quotidien de la Saint-Pierroise est bien rodé et le menu du petit-déjeuner, ritualisé : « Deux tranches de pain complet, de la margarine avec un peu de confiture, une chicorée et un fruit. Les fruits, je ne peux pas m’en passer, c’est mon péché mignon ! » confie-t-elle. Mais avant de manger, Muriel passe d’abord par la case piqûre, car comme son frère, sa sœur et sa fille, la Réunionnaise a un diabète de type 2. Elle contrôle donc son taux de sucre dès le réveil. « Ma sœur est morte du diabète à l’âge de 52 ans, c’est aussi ça qui m’a poussée à me prendre en charge », concède Muriel. La patiente a d’ailleurs eu de graves complications aux pieds, au niveau cardiaque et même aux yeux. L’empêchant de conduire pendant trois semaines. C’est une spécificité de La Réunion, les femmes sont davantage touchées par le diabète, elles représentent 54 % des malades contre 45 % en métropole. Le diabète survient aussi plus jeune, 53 % des patients l’ont déclaré avant 65 ans contre 37 % en métropole. Ici, il suffit d’échanger avec n’importe quelle famille pour prendre conscience de l’ampleur du problème. « Quand on intervient dans les écoles, ¾ des élèves d’une classe lèvent la main quand on demande s’il y a du diabète dans leur famille », constate Marie-Hélène Chopinet, chargée de mission à l’AFD 974. Depuis 1996, l’Association des Diabétiques de La Réunion assure les missions de prévention primaire et, plus récemment, l’éducation thérapeutique du patient diabétique. Les équipes interviennent dans les crèches, les écoles, ou même les centres pénitentiaires. « Il y a un énorme besoin de prévention dès le plus jeune âge », explique Marie-Hélène Chopinet. « On s’est aperçu qu’on devenait diabétique de plus en plus jeune. Le plus jeune qu’on ait dépisté avait 23 ans », ajoute-t-elle. Ainsi, à La Réunion, 24 % des patients ont moins de 54 ans. « Il faut rappeler que c’est une maladie silencieuse, souvent il n’y a pas de symptômes propres, donc quand on la détecte les conséquences sont lourdes : au moment d’un AVC, une perte de vue… et certains nous arrivent trop tard, car dans les Hauts, dans les écarts, ils n’ont pas toujours accès aux soins », déplore la chargée de mission de l’AFD. Selon elle, une part des diabétiques échapperait au recensement et ferait plutôt grimper le taux de diabétiques à 13 % de la population. « Pour certains c’est aussi une fatalité et puis il y a beaucoup de honte, de fausses idées, d’où la nécessité de la prévention », conclut-elle.

Comprendre la maladie pour mieux la combattre

En matière de diabète, l’éducation thérapeutique du patient joue un rôle primordial. Cela consiste à comprendre la maladie, gérer ses crises d’hypoglycémie, mettre en place un traitement et le suivre, découvrir les outils pour lutter contre son évolution… Sur l’île, l’association ETP La Réunion mène deux missions, portées aussi par l’ARS (Agence Régionale de Santé). À la fois, proposer des programmes d’éducation thérapeutique du patient clé en main sur tout le territoire, mais aussi accompagner tous les professionnels dans l’élaboration de ces programmes d’ETP pour le diabète. « L’ETP complète le parcours de soin dans la mesure où on va contextualiser le patient dans son quotidien. En le questionnant sur sa situation, on va identifier avec lui les points qui peuvent être améliorés. C’est la meilleure façon pour être dans l’alliance thérapeutique du patient et du suivi, et d’acquérir des compétences d’autosoins », détaille Olivia Suply, diabétologue et médecin coordinatrice de l’ETP La Réunion. Preuve de l’urgence de la situation, un programme novateur a été mis en place en 2020. RunDIABETE est un programme d’éducation thérapeutique du patient adapté au public réunionnais. 8 séances, gratuites, dispensées par des professionnels sont proposées aux malades. Un programme qui a déjà permis d’accompagner plus d’un millier de patients et patientes.

Identifier le gras

Justement, c’est au cours de la séance « ALIMENTATION » de l’ETP La Réunion que nous retrouvons Muriel, diabétique de type 2. Cet après-midi, dans la vaste salle de la Case Croix Jubilé de Saint-Pierre, six personnes diabétiques sont installées autour d’une table face à Florian Begue. L’animateur du jour, éducateur en activité physique adapté, s’est formé à l’ETP il y a un an, estimant que « faute de connaissance, la population se meure et pour permettre aux patients de devenir plus acteurs », détaille-t-il. Il commence la séance par une question simple : « Qu’aimez-vous dans l’alimentation ? ». Les réponses fusent. « Moi surtout le coca et les boissons sucrées ! » répond l’une. « Tout ce qui est bon, les gratins, le fromage, tout ce qui n’est pas bon pour le corps quoi », rit une autre. « Il faut dire que mi aim bien manzé », concède Reine-May. La coquette Saint-Pierroise avoue que personne ne sait dans sa famille qu’elle est diabétique, un secret qu’elle n’a confié qu’à sa fille « Parce que nous Créoles, quand on parle diabète, tout de suite ça part dans l’alimentation patati-patata… Moi je préfère faire de la méditation ! » dit-elle en rigolant. « Plus sérieusement, chez nous Créoles, c’est tabou, donc c’est honteux », admet celle qui a découvert récemment et par hasard être atteinte de la maladie. Pendant deux heures, Florian alterne activités et explications. Au cours d’un jeu, il invite les participantes et le participant à classer les aliments par catégorie « légumes, féculents, graisses »… Un exercice d’autant plus percutant qu’il intègre la cuisine peï : carrys, rougail morue, bouchons et autres bringelles (aubergines en créole) sont au rendez-vous. Si cela peut paraître anecdotique, il y a finalement beaucoup d’erreurs et de surprises : « Le pain bouchon gratiné, c’est matière grasse ça ? Et le samossa aussi ?! Mais il y a des légumes dedans ! » s’étonne le petit groupe. « On a tout faux ! » éclate de rire une participante. De fait, les aliments transformés sont parfois plus complexes à catégoriser et cet atelier permet de poser les bases en matière d’équilibre alimentaire. « C’est pas facile pour nous Créoles, on est habitués aux grosses quantités. Mais ça m’a motivé à changer mes habitudes », assure Reine-May. Muriel a suivi la séance dans le but « d’éviter l’insuline à tout prix ! », explique la retraitée. « Je m’y prends tard, ça fait 15 ans que j’ai été diagnostiquée, mais c’est mieux que rien. Maintenant j’aimerais emmener ma fille ici, car elle aussi est diabétique », s’inquiète la soixantenaire. Durant cette séance, et malgré la maladie, tous ont ri, échangé des conseils alimentaires ou des points de vue sur leurs habitudes. Une entraide et un lieu sécurisant pour échanger sur leurs vécus de patients. Et ça marche, poursuit la médecin Olivia Suply : « l’ETP va plus loin que la simple transmission d’informations. On va évaluer comment cette information résonne chez le patient : qu’est-ce qu’il en conclut, comment il s’en saisit. Et on a une meilleure observance des traitements, des mesures d’hygiène alimentaire mieux comprises, des patients qui adhèrent mieux aux changements alimentaires ». Autant d’efforts qui paient puisque dans certains cas ils permettent de ralentir, voire de stabiliser la progression du diabète de type 2. Florian Begue abonde : « Quand les patients mettent en place une activité physique adaptée, les cellules vont mieux fonctionner. À court terme, ça permet de réguler la glycémie. À long terme, de réduire les complications comme les AVC et les amputations », détaille l’animateur.

Un mal aux origines multiples

« 10 % de personnes à la Réunion qui ont du diabète, environ 83 000 patients suivis, soit deux fois plus qu’en métropole, une survenue plus précoce et des complications dégénératives qui interviennent plus tôt… C’est pour toutes ces raisons que le diabète à La Réunion est une cause de santé publique », pose la diabétologue Olivia Suply. « On a aussi une hausse des nouveaux cas entre 2015 et 2020 de 3 % et on diagnostique de plus en plus en plus de patients diabétiques de type 2 ». D’où la mise en place d’outils de diagnostics précoces et de suivis des prédiabétiques. ETP La Réunion s’apprête ainsi à déployer un programme d’éducation thérapeutique pour les personnes prédiabétiques. « L’objectif c’est bien de reculer ou d’éviter la survenue du diabète de type 2 ». Des patients identifiés par prise de sang ou grâce à l’outil FindRisk Péi. Un outil élaboré pour le dépistage du prédiabète, adapté à la population réunionnaise et disponible en ligne. « Avec 4000 nouveaux cas par an sur l’île, il y a une nécessité d’agir tôt », conclut la médecin. Pour expliquer le taux important de diabétiques à La Réunion, il faut regarder la prévalence de facteurs de risques : obésité́ et surpoids (45 % des plus de 15 ans), comportements alimentaires éloignés des recommandations et une activité́ physique insuffisante. C’est aussi à mettre sur le compte de la précarité. « Le diabète est une maladie révélatrice des inégalités sociales de santé. Le diabète et la précarité sont liés : les personnes avec des difficultés socio-économiques sont les plus concernées par le diabète », détaille Monique Ricquebourg, directrice des études à l’Observatoire régional de la Santé. Une étude, publiée par les autorités sanitaires, établit clairement cette corrélation : les trois communes les plus touchées par le diabète sont les trois communes ayant le plus fort taux de pauvreté, à savoir Sainte-Rose, Saint-André et Le Port. Mais pour le docteur Uvarajen Paratian, les explications ne s’arrêtent pas là. Ce médecin généraliste de Sainte-Clothilde est aussi doctorant en anthropologie. Il s’apprête à présenter une thèse intitulée Les Colons nous ont pris le sucre et nous ont laissé le diabète dans les Mascareignes. « Je pense que la sédentarité et l’alimentation ne peuvent pas être les seuls facteurs, c’est ce que mes travaux tendent à prouver », détaille le médecin, lui-même diabétique. D’après lui, « l’esclavagisme et l’engagisme ont eu un impact. Cette souffrance a causé des traumatismes qui nous entraînent davantage vers les maladies », affirme -t-il. Il dénonce un apprentissage biaisé de la médecine, qui ne prend pas en compte les réalités historiques et sociales des populations. Selon lui, une forme de « réparation de l’esclavagisme » pourrait améliorer la situation sanitaire de La Réunion. Uvarajen Paratian dénonce aussi une « coca-colonisation » de l’île, l’installation à profusion des fast-food, et le lobby du sucre.

La lutte s’organise

« La ville de Saint-Pierre compte plus de fast-food que Paris, proportionnellement au nombre d’habitants », annonce le collectif Gout a Nou, pour la défense de la cuisine réunionnaise et contre les fast-foods. Ce mouvement, né fin août à La Réunion, entend dénoncer la prolifération massive des chaînes de fast-food sur l’île. Déjà à l’origine de die – in à l’ouverture d’un Burger King, ils viennent maintenant de lancer un appel signé par plus de 150 personnalités de la Réunion dont les artistes Danyel WARO ou Jace. Début septembre, ils ont organisé un pique-nique devant le nouveau McDonald’s de Saint-Pierre. Parmi les membres actifs du collectif, Grazziela et sa sœur Clara, dont la mère est diabétique et dialysée. « Tous ces fast-foods-là, tous ces changements, c’est arrivé trop vite. Les centres commerciaux, les enseignes internationales, au début, nous les Réunionnais, on a regardé ça émerveillés mais on n’a pas pris en compte la population », raconte Grazziela. « Et notre sang, notre culture, elle est détruite ! Jusqu’à quand va-t-on vouloir tout faire comme la métropole, jusqu’à en crever ? » s’indigne Clara. À La Réunion chaque année, le diabète cause environ 250 décès et 300 amputations des membres inférieurs, il touche aussi massivement les femmes enceintes puisque 22 % déclenchent un diabète pendant la grossesse. Un diabète gestationnel qui s’élève à 16,4 % au niveau national.

Texte Lola Fourmy. Photos Ophélie Vinot