Comme le reste des Outremer, la Guyane manque de médecins, de sages-femmes, d’infirmiers… Durant les grandes vacances, l’hôpital de Saint-Laurent du Maroni a dû réguler ses urgences ; des sages-femmes n’ont pas trouvé de remplaçante ; des consultations ont été suspendues. La télémédecine, apanage jusque-là des communes isolées, se déploie désormais sur le littoral urbanisé. La possibilité, à partir de cette rentrée, d’effectuer l’intégralité de ses études de médecine aux Antilles-Guyane devrait fidéliser les étudiants sur les territoires, mais ne produira ses effets que dans six ans aux mieux. Avant cela, la perspective d’un CHRU de Guyane en 2025 est attendue comme un facteur d’attractivité.

La scène se passe dans la périphérie de Cayenne. Pour éviter que leurs patients ne fassent le pied de grue pendant des heures dans la salle d’attente, deux médecins ont mis en place un système de tickets. Comme chez le boucher ! Les milliers d’habitants du secteur de Soula et du quartier spontané de Sablance à Macouria, se sont vite adaptés : certains se lèvent au milieu de la nuit, dès 3 heures, pour récupérer un des premiers tickets. Ils retournent se coucher et reviennent au lever du soleil. Des petits malins, eux, récupèrent des tickets dans la nuit puis les revendent au petit matin à ceux qui n’en ont pas.
Tickets, consultations uniquement sur rendez-vous au risque de ne pas pouvoir prendre une petite urgence, salle d’attente exiguë pour décourager ceux qui arrivent après les autres. Aucune solution ne semble parfaite dans une Guyane où le nombre de médecins est largement insuffisant. « Quand j’arrive le matin dans mon cabinet et que je dois traverser le couloir, déjà rempli de personnes qui m’attendent, c’est un énorme stress pour démarrer la journée », témoigne un jeune médecin de Cayenne.

Il manque au moins 300 médecins

Avec 717 médecins au 1er janvier 2023, la Guyane est en déficit par rapport
à la moyenne française. Il en faudrait 300 de plus pour se situer au même niveau que l’Hexagone. Un médecin sur sept (100) a plus de 65 ans. C’est particulièrement vrai chez les libéraux. Un peu moins à l’hôpital où les moins de 50 ans représentent plus de 70 % des effectifs. Même conserver
la couverture médicale actuelle relève de la gageure. Dans une étude sur l’offre de soins ambulatoires de 2021, l’Agence régionale de santé avait constaté qu’il faudrait que 71 généralistes et 51 spécialistes s’installent en Guyane d’ici à 2030 pour rester au niveau d’aujourd’hui. Le rattrapage avec
le reste de la France semble donc un horizon lointain. L’enjeu de l’attractivité du territoire est au cœur des discussions entre professionnels de santé, autorités sanitaires, établissements. Mais pas seulement : les aléas de transport, le manque de logement, le niveau scolaire ou l’offre de loisirs pèsent parfois autant que la qualité de vie au travail. Plusieurs chantiers sont en cours pour attirer davantage de professionnels.

Fidéliser les étudiants en santé

Cette rentrée a été marquée par l’ouverture d’une deuxième année de médecine en Guyane et du second cycle d’études de médecine (quatrième à sixième années) aux Antilles. Jusque-là, les étudiants qui effectuaient leur première année en Guyane devaient partir en Guadeloupe pour la deuxième et la troisième année. Il leur fallait ensuite se rendre dans l’Hexagone pour leur second cycle. Seul un sur trois revenait aux Antilles-Guyane pour effectuer son internat.
En 2022, un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) et de l’Inspection générale de l’enseignement supérieur et de la recherche (IGESR) regrettait qu’à « l’issue du second cycle en métropole, les étudiants antillais et guyanais ne sont pas incités à choisir la région Antilles-Guyane pour effectuer leur internat, d’autant qu’ils n’ont aucune connaissance professionnelle du territoire, faute de stages préalables en nombre suffisant. De plus, ils ont souvent pu construire une vie professionnelle ou personnelle en métropole de sorte qu’ils ne jugent pas nécessairement comme favorables les opportunités professionnelles ou les conditions d’exercice offertes sur ces territoires. » Quant à ceux qui effectuent leur internat en Guyane, ils ne sont qu’un sur six à prendre un premier poste ou à s’installer chez nous. Avec désormais la possibilité de suivre l’intégralité de ses études de médecine aux Antilles-Guyane, le ministère de la Santé espère convaincre les futurs praticiens de rester sur place. Mais cette réforme ne produira ses effets que dans six ans au mieux.

Quand un hôpital achète un hôtel…

D’autres actions sont menées à plus court terme. Le centre hospitalier de l’Ouest guyanais (Chog) finalise l’achat de l’hôtel Stars. L’établissement de 70 chambres est situé dans le centre de Saint-Laurent du Maroni, à la frontière avec le Suriname. Depuis plusieurs années, le Chog acquiert régulièrement des logements, à mesure que les programmes immobiliers sortent de terre. Cela lui permet d’héberger les professionnels qui arrivent sur le territoire en attendant qu’ils trouvent leur logement. La limite, c’est que beaucoup renoncent à chercher, dans une ville qui souffre, encore plus que Cayenne, du manque de biens. En proposant une partie des chambres d’hôtel – les autres resteront destinées à l’activité commerciale – le Chog escompte que les professionnels qu’il y loge chercheront plus volontiers un appartement ou une maison.
De leurs côtés, l’Agence régionale de santé (ARS) et la communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS, regroupement de professionnels de santé libéraux et d’établissements de santé) développent des projets de conciergeries. Le but : proposer un ensemble de services aux professionnels souhaitant venir en Guyane – recherche de logement, inscription des enfants à l’école, souscriptions des contrats d’eau et d’électricité – mais aussi à ceux qui sont sur place – réservation de billets d’avion, de billets de spectacle et à peu près tous les services qui peuvent être commercialisés aux professionnels.

Urgences régulées, sages-femmes non remplacées, consultations supprimées…

Mais c’est dans l’organisation du quotidien que le manque de professionnels se fait le plus ressentir. Durant les grandes vacances, les maternités du centre hospitalier de Cayenne (CHC) et de Saint-Laurent du Maroni ont dû fermer des lits. En ville, de nombreuses sages-femmes n’ont pas trouvé de remplaçante. Le Chog, toujours, a dû réguler l’accès à ses urgences : seules les personnes amenées par le Smur, les sapeurs-pompiers, la gendarmerie, ou ayant préalablement appelé le Samu pouvaient y passer. La direction a pris cette décision fin juillet, car elle manquait d’infirmiers. Les hôpitaux ne sont pas les seuls touchés. Dans certaines communes, la Protection maternelle et infantile (PMI), gérée par la Collectivité territoriale de Guyane, a arrêté les consultations, sur des périodes plus ou moins longues.
D’autres organisations sont à l’œuvre, pour améliorer le service aux patients. Le nombre de médecins à diplôme étranger (de l’Union européenne ou hors UE) représente désormais la moitié des praticiens. L’hôpital de Saint-Laurent du Maroni a ouvert un centre de santé en ville. Les médecins, salariés de l’hôpital, y proposent des consultations comme dans n’importe quel cabinet médical. Ils peuvent être déclarés comme médecin traitant par leurs patients. Un répit alors que la ville, qui approche les 50 000 habitants, ne compte qu’une douzaine de médecins libéraux. À Saint-Laurent-du-Maroni, mais aussi à Kourou et Cayenne, la Croix-Rouge française transforme ses centres de prévention santé en centres de santé. S’ils conservent leur activité historique de vaccination et de dépistage de la tuberculose et des infections sexuellement transmissibles, les nouveaux centres auront également une activité de médecine de ville.

Des patients transférés au Suriname

Pour libérer des chambres, et donc des professionnels, le Chog organise également, depuis un an, le transfert de patients surinamais vers l’hôpital d’Albina, de l’autre côté de la frontière, lorsque leur état de santé le permet. Dans le même temps, l’ARS a autorisé deux services de soins infirmiers à domicile dans l’ouest et à Kourou. En organisant les visites régulières d’infirmiers chez les patients, l’objectif est d’éviter la perte d’autonomie et donc l’hospitalisation ou l’admission dans une structure.
La télémédecine connaît un nouveau développement. La Guyane l’a utilisée très tôt, il y a une vingtaine d’années, pour prendre en charge des habitants des communes isolées. Désormais, elle est également déployée pour les habitants du littoral. Jusqu’à l’ouverture, en milieu d’année, d’une unité de soins intensifs neurovasculaires à l’hôpital de Cayenne, les IRM des victimes d’AVC étaient lues par des spécialistes de l’hôpital de Besançon (Doubs), qui ensuite donnaient les indications de traitement à leurs confrères guyanais. Des cabines de télémédecine ont été installées dans des pharmacies, pour permettre aux Guyanais de consulter un praticien disponible partout en France.
L’ARS et Guyasis, association chargée de développer des outils numériques pour les secteurs de la santé et du médico-social, ont lancé une plateforme régionale de télésanté. Le but est de connecter, en Guyane, l’hôpital, la ville et le médico-social pour proposer des téléconsultations et des téléexpertises. Adossée à une plateforme nationale, elle permet de solliciter des professionnels en Guyane, aux Antilles, mais aussi dans l’Hexagone ou à l’international si aucune solution locale n’est disponible. Six structures y sont déjà connectées.

La perspective du CHRU

Mais dans les années à venir, le principal chantier pour renforcer l’offre de soins et attirer de nouveaux professionnels sera la création du centre hospitalier régional universitaire (CHRU). Les autorités sanitaires espèrent qu’il créera un environnement attractif : des filières de soins organisées à l’échelle régionale, pilotées par des professeurs, un adossement à l’université pour renforcer la formation et la recherche… De nouvelles filières doivent voir le jour, en cardiologie, en cancérologie… En harmonisant leurs politiques de ressources humaines, les trois hôpitaux de Cayenne, Kourou et Saint-Laurent du Maroni, ainsi que les centres délocalisés de prévention et de soins ne pourront plus se faire concurrence dans le recrutement de professionnels. La création du CHRU est annoncée pour… 2025. C’est déjà demain !

*as soon as possible se traduit en français par « dès que possible »

Texte de Pierre-Yves Carlier

Photos Thibaud Vaerman