Élément récurrent dans le processus d’accaparement des terres, le feu est utilisé pour intimider et expulser les populations indigènes, les petits paysans et les communautés marronnes. Si le Pantanal [plus grande zone humide de la planète] est plus médiatisé, aucune des cinq régions que compte le Brésil n’est épargnée. « De Olho nos Ruralistas » a enquêté. 

Qui met le feu à la forêt ? Et qui met le feu dans les assentamentos [colonies agricoles établies dans le cadre de la réforme agraire] ? Mardi 22 septembre, à l’Assemblée générale de l’ONU, le président Jair Bolsonaro a accusé les caboclos et les indigènes d’être responsables des incendies en Amazonie, et attribué les incendies du Pantanal aux températures élevées. Tout en précisant que le Brésil reste une référence en matière de préservation de l’environnement. « Notre forêt est humide et ne permet pas au feu de s’y propager. Les incendies ont lieu pratiquement aux mêmes endroits, dans la partie orientale, là où le caboclo et l’indigène pratiquent le brûlis pour survivre, dans des zones déjà déboisées », a-t-il insisté.
Critiqué par les scientifiques et les mouvements sociaux, ce discours est bien éloigné de la réalité. Rien qu’au mois de juillet, plus de 6 800 incendies ont été enregistrés en Amazonie, soit 28 % de plus qu’il y a un an à la même période, selon l’Institut national de recherche spatiale (INPE). Au cours des dix premiers jours de septembre, ce chiffre est passé à 10 000, soit 17 % de plus qu’en 2019.
Au 15 septembre, le Pantanal totalisait 15 000 feux de végétation, nombre record relevé par l’INPE. 2 842 000 ha ont été brûlés au total, représentant 18,66 % du biome. Bolsonaro tient l’explication : « Notre Pantanal, d’une superficie supérieure à celle de nombreux pays européens, souffre comme la Californie des mêmes problèmes. Les grands incendies sont les conséquences inévitables de la température locale élevée, et de l’accumulation de masses organiques en décomposition. »
En réalité, la plupart des incendies ne se produisent pas dans les zones déjà déboisées ou ne sont pas causés par les populations traditionnelles. Les principaux responsables sont les grileiros [accapareurs de terres] et les grands propriétaires terriens, qui déclenchent des incendies pour étendre la frontière agricole, comme le révèle la surveillance de l’INPE.
Selon une enquête de l’Instituto Centro de Vida [ONG], une partie des incendies qui dévastent le Pantanal a débuté dans cinq fazendas situées dans la municipalité de Poconé, dans le Mato Grosso. Leurs propriétaires sont des éleveurs qui vendent des bovins au groupe Bom Futuro, appartenant à Eraí Maggi – un des plus grands producteurs de soja au monde – et son cousin Blairo Maggi, ministre de l’Agriculture, de l’élevage et de l’approvisionnement sous le gouvernement Michel Temer, comme l’a révélé Repórter Brasil [Temer a assumé le pouvoir après la destitution de Dilma Rousseff en 2016].
Instrument de pression pour expulser les assentados [petits paysans établis sur un assentamento], mais aussi les indigènes et les quilombolas [communautés marronnes], le feu est communément utilisé pour s’accaparer les terres : des zones de forêt native, pour la plupart des parcelles en réserve dans un assentamento, sont généralement déboisées puis brûlées. Les maisons et les abattis sont brûlés pour faire le vide. Ensuite, les grileiros y sèment de l’herbe, délimitent des parcelles et les vendent illégalement. Elles sont alors incorporées aux propriétés latifundiaires.
Cette pratique se répète au fil des ans dans les différents biomes brésiliens, en Amazonie et aussi dans le Cerrado [savane arborée], comme dans la région de Matopiba [Maranhão-Tocantins-Piauí-Bahia - 2 fois la superficie de l’Allemagne], entraînant la perte de biens, de plantations et même la mort de leurs occupants.

Les exemples sont légion à travers le pays

En août 2019, à Codó dans le Maranhão, des grileiros liés au groupe agroalimentaire Maratá envahissent la communauté rurale de Jaqueira, et mettent le feu à 36 habitations, deux ateliers de farine et un entrepôt de riz. La communauté, qui regroupe 200 personnes et occupe ces terres depuis 15 ans, subissait depuis quelques mois des attaques d’individus prétendant être propriétaires du domaine. La police militaire (PM) arrêtera trois suspects. Terrorisé par la fusillade, un paysan de 60 ans perdra la vie.
À la même époque, dans le Rondônia, la police fédérale (PF) démantèle deux gangs pyromanes qui opéraient dans le Territoire indigène [TI] Uru-Eu-Wau-Wau. Les dommages sont estimés à 22 millions de R $ [5 mi €]. Parmi les 14 interpellés figure le coordinateur de l’Association des producteurs de Curupira, soupçonné d’avoir falsifié des titres et vendu des parcelles indigènes. Cinq autres individus sont en fuite, dont un forestier soupçonné d’abattage illégal et trafic de bois.
En septembre 2019, les baraquements du campement Garça Branca, situé à Jaupaci dans le Goiás, sont incendiés. Le feu démarre vers 23 h et détruit les cabanes de feuillage et plastique des leaders. Les occupants réussissent à maîtriser l’incendie. Quelques jours plus tôt, un groupe de grileiros avait menacé d’y mettre le feu. Trois semaines plus tard, l’Institut national de la colonisation et de la réforme agraire (INCRA) n’avait toujours pas inspecté le site. 46 familles occupent cette zone d’invasion de près de 1 000 ha depuis huit ans. Elles en revendiquent la propriété définitive au motif que ce bien foncier ne remplit pas sa fonction sociale. Trois mois plus tard, une opération de la PF démantèle un gang qui mettait le feu à des petites fermes dans les zones rurales du district fédéral [Brasília-DF] pour ensuite créer des lots et les vendre jusqu’à 500 000 R$. 8 personnes sont arrêtées. Les dégâts environnementaux sont conséquents. Dans le Tocantins, en août 2017, au moins 50 baraques habitées par 80 familles paysannes brûlent dans le campement de Padre Josimo, à Carrasco Bonito. Toute la production de riz du campement, rattaché au MST [Mouvement des sans-terre], est détruite. « Une figure politique, agriculteur et homme d’affaires de la région a annoncé que les occupants pourraient bientôt avoir une surprise », avait déclaré quelque temps auparavant un des leaders régionaux du MST. L’incendie n’a fait aucune victime. Le campement est situé sur un assentamento de l’Incra créé dans les années 90. Pourtant, les fazendeiros et les politiques locaux continuent à convoiter ces terres, alléguant qu’elles sont publiques.
En 2014, dans le Mato Grosso [MT], les guerriers Xavante du TI Marãiwatsédé, territoire le plus déboisé de l’Amazonie légale, dénoncent une série d’incendies criminels qui ont détruit une partie de leurs terres et affecté de manière dramatique la biodiversité de la région. Plusieurs foyers d’incendie avaient été identifiés par les Xavante, d’une part le long de la BR-158 – lorsqu’elle traversait le TI – et d’autre part le long de la BR-242, qui borde également la réserve. Le TI Marãiwatsédé a fait l’objet d’une opération de « désintrusion », procédure d’expulsion des hors-la-loi, à la fin du gouvernement Dilma Rousseff.
Enfin, tout récemment, à Novo Mundo [MT] des familles du pre-assentamento [établissement en cours de régularisation] Boa Esperança ont été victimes d’un incendie qui a débuté le 12 septembre et consumé 90 % de la surface agricole. Habitations, plantations, clôtures et petit bétail sont partis en fumée. Les défenseurs des droits humains accusent le fazendeiro M. Bassan, qui occupe des terres domaniales, d’en être le responsable. En 2019, la Cour fédérale a intimé Bassan de se retirer, mais il a refusé de partir et déposé plainte auprès de la justice du Mato Grosso pour expulser les familles. En février 2016, l’établissement avait déjà été incendié par les jagunços [tueurs à gages] de Bassan. Des maisons avaient été brûlées et des personnes avaient disparu.
« Conheça 20 incêndios provocados para expulsar camponeses e indígenas de suas terras », 29/09/20, Sarah Fernandes, De Olho nos Ruralistas

Traduction par Miguel Joubel
Photos Bud Mendès-AFP et Luc Akermann