La transition énergétique en Polynésie française est à l’ordre du jour. Elle peut compter aujourd’hui sur l’hydroélectricité et le développement du photovoltaïque. Elle pourrait également s’appuyer sur une technologie originale, le Swac. Il s’agit d’un système utilisant l’eau de mer profonde comme source froide pour répondre aux besoins de climatisation de quelques bâtiments, voire d’un quartier entier.

Selon l’Observatoire de l’énergie polynésien, en 2022, le taux de dépendance énergétique du territoire, c’est-à-dire la part d’énergie importée pour sa consommation d’énergie primaire, était de 92,5 %. Cela représente 377 millions de litres d’hydrocarbures importés. La part des transports dans la consommation d’énergie primaire était de 54 % (dont 40 % pour les seuls transports terrestres), celle destinée à la production d’électricité de 36 %. Cela représente 116 millions de litres consommés. Le taux de pénétration des énergies renouvelables était de 36 % (436 GWh de thermique, 194,4 GWh d’hydroélectricité et 49,9 GWh de solaire). Les énergies renouvelables permettant d’économiser une production d’électricité se répartissaient entre le Swac (17,6 GWh) et les chauffe-eaux solaires (23,6) GWh.
Le Swac (Sea Water Air Conditionning) est un système qui utilise l’eau de mer profonde comme source froide pour répondre aux besoins de climatisation de quelques bâtiments, voire d’un quartier entier. L’eau est pompée au-delà de 500 mètres de profondeur à 5/7 °C pour refroidir en surface un réseau d’eau douce. Elle est rejetée dans le lagon à 12 °C sans conséquences sur l’environnement selon les études. En Polynésie, le premier Swac fonctionne dans un hôtel de Bora-Bora depuis 2006, le deuxième dans un hôtel de Tetiaroa depuis 2014. Le troisième alimente l’hôpital de Tahiti depuis juillet 2022. Mais avant de s’intéresser aux performances et au potentiel de cette technologie, il convient de s’intéresser aux particularités polynésiennes, et notamment son morcellement.
Teva Meyer, maître de conférences en géographie et géopolitique à l’université de Haute-Alsace a établi un état des lieux de la transition avant de répondre à la question : quelle transition énergétique en Polynésie française ?
Dès 1978, la Polynésie a déployé un millier de panneaux solaires sur les atolls. En 1997, le programme Photom a permis le financement de 1 500 nouvelles installations pour les ménages isolés. Les subventions et la mise en place de tarif fixe de rachat ont permis de multiplier par 15 la production solaire entre 2010 et 2018. Mais globalement, les efforts de transition ont stagné dans les années 2000, la part des énergies renouvelables baissant même de 20 % entre 1998 et 2013.

Manque de réalisme

Le gouvernement avait annoncé dans sa programmation 2015/2030 vouloir faire passer la Polynésie française sur un modèle de 75 % d’utilisation d’énergies renouvelables. La Chambre territoriale des comptes dans un rapport publié en octobre 2023 a conclu que : « l’objectif de 75 % d’énergies renouvelables à horizon 2030 ne semble pas réaliste. La cible précédente de 50 % en 2020, fixée par le Plan climat énergie de 2015, n’a d’ailleurs pas été atteinte. » Sur le terrain, un séminaire sur la transition énergétique organisé en février 2023 a démontré l’émulation et l’innovation du secteur privé polynésien sur les questions de décarbonation. Mais celui-ci reste en attente de planification, de réglementation et surtout de sources de financement du nouveau gouvernement (élu en mai 2023).
Selon Teva Meyer, « les particularités de la Polynésie française semblent, de prime abord, empêcher toute tentative de généralisation. Ses 76 îles habitées, aux profils si différents, appellent à autant de solutions situées de transition et limitent l’élaboration d’une politique globale à l’échelle polynésienne ». Il ajoute : « Alors qu’elle concentre la population et la consommation, Tahiti focalise l’attention et les projets, au risque d’invisibiliser les besoins des archipels, où la dépendance aux hydrocarbures ne pose pas que des problèmes environnementaux, mais contraint également les finances publiques et fait peser le risque de rupture d’approvisionnement ». Les politiques et projets continuent de « buter contre les héritages du système foncier polynésien et contre une conflictualité grandissante reposant sur des enjeux environnementaux, culturels et économiques, qui limite le déploiement de projets renouvelables ».

Des performances remarquables

Dans ce contexte, un homme s’intéresse de près au Swac. C’est Franck Lucas, enseignant-chercheur au laboratoire GePaSud en Polynésie. Il mène le projet Copswac qui étudie les performances du système. Pour lui, ce dernier doit être considéré dans le cadre de la transition énergétique. « À l’hôpital, on divise l’impact énergétique et environnemental de la climatisation par au moins 10. Après amélioration on espère faire encore mieux ! ». Toutefois, il nuance : « Le Swac apporte une solution qui n’est pas réplicable facilement partout. Il faut des bâtiments adaptés dans une zone géographique elle aussi adaptée… Donc, c’est une partie de la solution, mais pas la solution… »
En effet, il faut une température de l’eau de mer basse, constante et accessible. Pour trouver une température aussi froide naturellement, il faut se situer sur des îles volcaniques et il est nécessaire de descendre à des profondeurs supérieures à 500 mètres. En surface, les bâtiments ne doivent pas être trop éloignés pour garantir la performance du système.
À Tetiaroa, une zone géographique idéale, les résultats de Copswac sont prometteurs. En comparaison à la climatisation centralisée conventionnelle, les coefficients de performance (rapport entre l’énergie froide produite dans le bâtiment divisée par l’énergie électrique consommée pour produire le froid) sont de 140 pour le Swac contre 7 pour les conventionnelles. Comparés à la climatisation individuelle conventionnelle (split systems), les coefficients de performance sont de 20 pour le Swac contre 5 pour les splits systems.
Les pistes d’amélioration qui devraient être étudiées dans les 2 prochains programmes de recherche portent sur la conception des installations futures et sur le contrôle du fonctionnement, autrement dit sur la régulation. Concernant la conception, l’idée est de voir s’il serait possible d’augmenter un peu le seuil des températures froides pour réduire la profondeur de pompage. Ainsi, le nombre de sites potentiels pourrait augmenter ainsi que l’investissement. Sur la régulation des installations, l’idée principale est de mieux ajuster des débits d’eau glacée au besoin du bâtiment. « Actuellement, on a souvent des débits trop forts entraînant des surconsommations des pompes », rapporte Franck Lucas.
Kanhan Sanjivy, un doctorant qui travaille sur le système, a établi qu’en tenant compte de la bathymétrie et des besoins en climatisation liés aux températures extérieures, le nombre de sites potentiels d’installation du Swac tel qu’il existe aujourd’hui est de 41 622 pour l’Amérique du Nord, de 144 591 pour l’Est asiatique et de 14 995 en Europe.
Pour l’instant, selon Franck Lucas, les Swac en eau profonde et en climat tropical qui fonctionnent sur des bâtiments non expérimentaux n’existent qu’en Polynésie. Pour l’heure, il n’y a pas d’autres projets. Le dernier en date a été abandonné, car les bâtiments n’étaient pas tous équipés d’installation centralisée et qu’il s’agissait de bâtiments de bureaux avec des besoins frigorifiques trop variables. Des études de potentiel et de projets sont en cours dans les Caraïbes, en Amérique Centrale, en Asie, mais il n’y a pas de réalisation. Trois projets sont en discussion à La Réunion : à l’hôpital de Saint-Pierre (le plus avancé) dans la zone de Cambaie et à l’aéroport Roland Garros. En France, il en existe trois en eau peu profonde. Tout reste à faire.

Delphine Barrais