Du jour au lendemain, en raison du confinement instauré pendant 55 jours, les plus démunis et les sans domicile fixe, se sont retrouvés davantage isolés. La pandémie de covid-19 a perturbé l’organisation des structures guadeloupéennes d’aide d’urgence aux publics vulnérable, qui depuis, se sont ré-organisées pour maintenir le lien.

Le confinement est terminé, et pour les plus démunis, c’est la fin d’une galère, celle des petits commerces et marchés de Guadeloupe fermés, des « jobs » absents tout comme les passants, privant ainsi la possibilité de demander le petit sou. Car pour les sans-domicile-fixe, les mal-logés ou encore les usagers de drogues, la priorité reste de se nourrir et donc de trouver de l’argent. « Et sans petits jobs, je fais comment ? » questionne Sébastien, sans-abri depuis plusieurs années à Pointe-à-Pitre, la ville portuaire de Guadeloupe.

Mal informés, les femmes et hommes rencontrés dans les rues de Pointe-à-Pitre, ne sont pas vraiment inquiétés par le corona virus. Même si les contacts se font rares, la distance de sécurité n’est pas respectée. Sur cinquante individus croisés dans la ville, seuls deux hommes portaient un masque en tissu, non lavé et plus souvent sur le menton, que sur la bouche. « Pour nous c’est pas compliqué » ajoute Sébastien, une main sur son masque en tissu madras, « les policiers nous connaissent, on n’a pas besoin de dérogation, on n’a pas de case, on est confiné sous les manguiers. C’est ça, la vérité. Ce qui nous inquiète, c’est comme tout le monde : l’économie » expliquait deux semaines avant le déconfinement, l’homme âgé de 52 ans, entouré de ses camarades de banc.

 Isolés et plus nombreux

En raison des risques sanitaires et des nombreuses mesures barrières à instaurer, plusieurs structures sociales de l’archipel Guadeloupéen ont d’abord préféré stopper les sorties sur le terrain pour finalement ré-organiser leur mission en « mode dégradé » pour celles qui le pouvaient et le voulaient bien. Les plus démunis, une soixantaine entre Pointe-à-Pitre, Les Abymes et Gosier, se sont retrouvés davantage isolés et plus nombreux, avec le téléphone comme seule alternative quand cela est possible. La Croix-Rouge française de Guadeloupe, qui a maintenu et multiplié ses maraudes depuis mars, a vu pratiquement tripler le nombre de bénéficiaires rien qu’en région Basse-Terre. « Les chiffres sont révélateurs, mais il faut savoir qu’il s’agit d’une nouvelle équipe mobile d’intervention sociale en Guadeloupe, l’EMIS, qui a ouvert fin octobre en Basse-terre. On a élargi les territoires, et avec, le nombre de bénéficiaires » souligne Cécile Dziamski, la responsable des établissements de Guadeloupe de la Croix-Rouge Française.

Depuis la crise sanitaire, la durée de la maraude est devenue plus longue pour les équipes de la Croix Rouge Guadeloupe qui tentent de maintenir le dialogue « On essaie de prendre un minimum de temps pour discuter, ils en ont besoin, même si on ne tarde pas trop, afin de pouvoir rencontrer tout le monde » explique Andy sous son masque, au volant du camion de la Croix Rouge, accompagnée de Mathilde récemment arrivée au sein de l’équipe du CAARUD de l’archipel. Ce jeune salarié du Centre d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues connaît les prénoms et noms de chaque personne dans le besoin. « Ca va jod là ? Tu as ce qu’il te faut ? », questionne Andy, avant de descendre du véhicule à Boissard, un quartier dit prioritaire de Guadeloupe. S’en suit une courte discussion. Le duo du Caarud, livre des sacs repas, des kits hygiène sur demande, un peu d’eau et si besoin, quelques conseils : une mère demande des informations pour la scolarité de sa fille. Au bout de quelques minutes, ils sont plusieurs à se réunir derrière le camion, mais avec une certaine distance, un certain respect. Un jeune un peu plus vif que les autres, demande discrètement un doseur, il s’agit en réalité d’un kit de base contenant des pipes à craque. Comme les préservatifs, distribués au nombre de cinq, le Caarud travaille à la réduction des risques. Ils vont aussi à la rencontre des travailleuses du sexe dans les quartiers populaires de Carénage à Pointe-à-Pitre, et de Grand-Baie à Gosier. Le moindre don, la moindre information, le lieu de rencontre, tout est noté pour un suivi complet tout au long de l’année. Mais le « risque covid », lui, reste difficile à anticiper. La pénurie de masque a touché aussi le secteur social : « On en a bien sûr, mais les stocks sont tellement bas, nous les gardons pour les bénéficiaires qui auraient des symptômes de la maladie covid-19. Nous avons eu des dons de masques en tissus, mais là, c’est un autre problème : les SDF n’ont pas vraiment la possibilité de les laver » explique la responsable des établissements Guadeloupe de la Croix-Rouge Française.

 Isolés, mais pas oubliés

Pendant le confinement, les invisibles sont devenus plus visibles et l’aide de quelques riverains plus spontanée. Discrète sous son masque et peu bavarde, la présidente de l’association chrétienne La vie Zoé, distribue seule l’équivalent de deux fait-tout rempli de soupe, sur la place de Sonis et à la place de la Victoire, deux places principales de la ville. « On est nombreux à agir. Moi, je fais ça par conviction, pour l’amour de mon prochain ». Mary-Krysteen sert ce jour-là une vingtaine de repas : « Que dieu vous bénisse, même si vous ne croyez pas », ajoute cette croyante, avec toujours cette même discrétion. Même les habitués de la place ignorent son nom.

À l’inverse, l’Unité contre la misère, se mobilise depuis mi-mars, téléphone vissé à la main, live Facebook ouvert. « Pour moi, c’est une façon de sensibiliser les gens qui nous suivent pour les dons » explique Mickael Plocoste, qui improvise ce soir-là, avec trois autres personnes, un salon de coiffure en plein air. Le Guadeloupéen distribue des repas dans certaines communes de l’archipel, depuis trois ans et plus officiellement avec son association, fraîchement créée. Mais les méthodes de Mickael ne font pas l’unanimité parmi les bénévoles. De nombreux ex-adhérents agissent désormais via d’autres groupes. Ils sont nombreux à penser aux SDF de Pointe-à-Pitre. « C’est une zone urbaine centrale où les plus vulnérables se réfugientEn milieu rural, il y a un autre fonctionnement, une entraide plus spontanée » explique Gérôme Zélateur, qui entre deux épluchures de patate douce, bricole une visière anti-postillon.

 Les invisibles devenus visibles 

Lui et toute sa bande, se retrouvent régulièrement en après-midi, ensemble, ces Guadeloupéens cuisinent pour passer un bon moment autour de la soupe, durant la préparation comme sa distribution : « L’échange est parfois plus important que le repas », insiste Steve, un ami de Gérôme, « Quand on arrive, au début, Andy, Dimitri, Karine, ces gens qui vivent dans la rue, ne veulent pas du repas, ils ont leur dignité et ce n’est qu’après avoir discuté qu’ils acceptent le don. Et c’est pour cela que c’est délicat avec nos masques, mais on fait avec ». Accompagné de Moni, Gérôme, et Sandra la cuisinière, Steve s’assure de distribuer à tout le monde. Et pour cela, le groupe d’amis n’hésite pas à passer plusieurs fois dans une même rue, de la marina du Gosier jusqu’aux Abymes pour lutter contre l’isolement. Sur leur trajet, ils finissent par retrouver Emma qu’ils n’avaient pas vu jusqu’alors. Les solidaires d’un soir, déposent le repas chaud sur le cadis de cette femme seule, a priori muette, qui ne s’exprime qu’à travers des signes de têtes ou de mains. Mais comme partout en France, le 11 mai a sonné la fin du confinement et avec, le retour du travail. Si la Croix-Rouge Française de Guadeloupe maintient sa ré-organisation actuelle, les initiatives personnelles vont-elles s’essouffler ? Les plus vulnérables devenus plus visibles en confinement, redeviendront-ils invisibles ?

Texte et photos de Benedicte Jourdier