Alors que les conclusions de la commission d’enquête publique sur le projet de centre d’enfouissement des déchets ménagers et amiantés du groupe français Séché à Kourou sont attendues, Boukan s’est penché sur l’argumentaire technique du projet et les avis d’institutions. Plusieurs éléments sont particulièrement saillants.

Depuis 2016 le groupe français Séché environnement industrie projette de construire au cœur d’une zone agricole de Kourou un centre d’enfouissement de trois millions de tonnes de déchets ménagers et assimilés dont des résidus amianté.

 Soutiens et oppositions

Depuis plusieurs années la chambre d’agriculture demeure hostile à ce projet envisagé pour 2025-2026 qui bouleverserait le secteur agricole de Wayabo où vivent 24 familles lesquelles ont été attirées par la force publique depuis vingt ans pour participer à l’élaboration de ce qui devait être le premier lotissement agricole « labellisé » de Guyane…

L’implantation d’un tel centre qui stockerait dans une fosse de 47 mètres de profondeur les déchets serait masqué par une enceinte arborée mais néanmoins visible dans les premiers « 800 mètres » alentour. Tout en sachant que les premières habitations se situent à 200 mètres et la première parcelle agricole à moins de 100 mètres.

En phase d’exploitation, plus de trente poids lourds venus de 14 des 22 communes du département s’y rendraient chaque jour. En 2050, c’est un « dôme » enherbé de plus de 20 mètres de hauteur formé de déchets compartimentés et souterrains qui s’élèverait au dessus de la route.

Pour les mêmes raisons que la chambre d’agriculture, le service en charge de l’agriculture et de la forêt au sein de la direction générale des territoires et de la mer (DGTM) a « émis de fortes réserves sur le projet » à cause du « besoin d’augmentation de la souveraineté alimentaire du territoire » et parce que le centre, s’il voit le jour, va « impacter des agriculteurs voisins pour beaucoup engagés dans […] l’agriculture biologique ».

Le service biodiversité de la DGTM a quant à lui émis un « avis favorable sous conditions » selon un rapport de mai 2022 non rendu public mais que nous avons consulté.

Au-delà de l’artificialisation de 36 hectares, l’autre élément contextuel marquant de ce dossier concerne la rivalité du projet Séché et du projet concurrent, public, porté par la communauté d’agglomération du centre littoral (CACL) dans la commune voisine de Macouria. Le projet public qui avait peiné à émerger à causes de divergences politiques entre les maires de la CACL et l’imminence d’échéance électorale est actuellement soumis à l’autorité environnementale et dans les prochains mois à enquête publique. Ce projet prévoit l’ouverture d’un incinérateur à Soula (Macouria) en 2027 et l’enfouissement de déchets non incinérables à Quesnel ouest, une zone naturelle et habitée, située quelques kilomètres plus loin. A Quesnel aussi, le projet est refusé par les riverains.

 Monopole

Si l’État, qui soutient notoirement Séché et qui en était actionnaire jusqu’en 2019 par le biais de la caisse des dépôts et consignation (CDC) choisi l’industriel français, il placera sous monopole privé la politique territoriale de gestion des déchets pour les trente prochaines années dans un contexte fortement inflationniste. « C’est la stratégie du pompier-incendiaire » s’alarme un proche du dossier en faveur du projet public.

Interrogé par Guyaweb, Séché assurait en mars 2022 que les coûts pratiqués sur son site industriel seraient « maîtrisés ».

Au-delà des tarifs, la CACL affirme que si le projet privé est choisi, il empêchera la création d’un incinérateur.

Selon Serge Smock, le président de la CACL, le secrétaire d’Etat aux outre-mers Jean-François Carenco a annoncé il y a quelques semaines qu’il mandaterait « un cabinet d’experts » pour « comparer » les deux projets concurrentiels. Une « bonne nouvelle » selon Serge Smock.

Questionné  pour donner plus de détails sur cette annonce floue, le cabinet de JF Carenco n’a pas donné suite.

La collectivité territoriale de Guyane (CTG) demeure contre le projet privé. La CTG présidée par Gabriel Serville fait valoir un argument cardinal : le projet privé « ne suit pas les recommandations » du plan départemental d’élimination des déchets ménagers et assimilés. Ce document cadre adopté en 2009 précisait que le futur exutoire des poubelles se situerait dans la CACL, émettrice à 80% des rebuts. Or, si le projet Séché est accepté c’est la communauté de communes des Savanes – présidée par François Ringuet, désormais en faveur du dossier – qui bénéficiera des taxes locales. La CTG rappelle aussi, comme l’avait fait avant elle l’autorité régionale environnementale, que le projet Séché ne « correspond [pas] à la vocation agricole dominante » de Wayabo. Reproche rejeté par l’industriel qui assure d’une cohabitation possible entre le traitement des imondices et des pinotières, du pâturage, de l’apiculture.

L’agence régionale de santé (ARS) a émis un avis favorable après avoir réclamé l’expertise d’un hydrogéologue agréé. L’ARS avait des craintes car le projet est positionné « au sein du périmètre de protection rapprochée » du captage d’eau potable (dégrad Saramaka) qui alimente les villes de Kourou et Macouria. Le projet prévoit de rejeter les eaux pluviales et les lixiviats (« le jus » des poubelles) traités un demi-kilomètre plus loin, à l’Est, dans un affluent de la crique Matiti. Les craintes de l’ARS ont été levées par l’avis favorable, mais rendu depuis Rennes, de l’hydrogéologue. « Trois quarts de la zone [concerné par le projet] est localisée dans le bassin versant du fleuve Kourou, concerné par ailleurs par le périmètre de protection du captage Saramacca [qui alimente la ville de Kourou – ndlr] » regrette la CACL, amenée à s’exprimer au cours de l’enquête publique. Depuis Paris, le conseil national de la protection de la nature (CNPN) a quant à lui signé un avis favorable sous conditions.

 Risques inondations et pollutions

Dans ce pays d’eaux qu’est la Guyane, d’autant plus en zone agricole, plusieurs autres éléments du dossier attirent l’attention. En cas de survenue d’une pluie dite « cinquantennale » (c’est à dire de l’ordre de 250 mm en 24 heures), l’entrée du site et la zone de circulation des poids lourds serait inondée pendant près de cinq jours. Face à une telle situation, « le site ne pourra pas fonctionner normalement le temps de l’évacuation des eaux mais pourra recevoir des déchets » selon Séché. Le « dimensionnement [est] contestable pour les pluies décennales » a de son côté réagi Guyane écologie lors de l’enquête publique.

Les projets susceptibles d’avoir un impact notable direct ou indirect sur l’eau et le milieu aquatique sont encadrés par la « loi sur l’eau ». Cette loi de 1992 très importante permet d’intégrer au mieux les enjeux. Séché affirme que le site vallonné et de bas fond qu’il a retenu pour l’installation du centre « n’est traversé par aucun cours d’eau ». Cette absence évite les tracasseries en matière de loi sur l’eau et fait dire notamment au groupe que « le risque de pollution des sols et des eaux souterraines ou superficielles [...] est faible ». Pourtant, plusieurs cartes IGN fournies dans le dossier technique démentent cette affirmation. A cela, Séché rétorque que « [L]es cours d’eau sont visibles sur les cartes mais ce ne sont pas des cours d’eau, tout au plus des orientations de ruissellement des eaux de ruissellement dans les vallons ». Reste que les travaux engendreront la destruction d’une mare répertoriée sur le site. Comment est-elle alimentée ? « La mare [est] plus ou moins artificielle » note plus loin le dossier. A plusieurs reprises aussi, il est aussi fait mention de « zones humides » dont « une petite rivière » à l’Ouest qui semble correspondre au tracé IGN. Même étonnement de la part de la CACL, qui estime que « des références techniques et des éléments complémentaires sont à fournir car rien ne justifie, à ce stade, de ne pas retenir la classification de l’IGN ». Alors cours d’eau ou pas ? Boukan a interrogé par écrit la préfecture. Aucune réponse ne nous a été apportée à l’heure de la publication.

 Les enjeux biodiversité

Autre élément qui prête à discussion, la question des enjeux biodiversité. Schématiquement, plus un site est préservé, plus le pétitionnaire doit engager une politique d’évitement, de réduction, et en dernier recours de « compensation » (cette notion est fortement discutable) des destructions. Cet aspect est donc central en Guyane.

A Wayabo, on oscille entre des « milieux [où] les espèces sont déjà largement perturbées » par les activités humaines et des écosystèmes environnants encore précieux.

Cela étant, heureusement pour Séché, le terrain sur lequel il projette de s’installer à été presque totalement déforesté avant que n’entre en jeu la question de l’évitement et des « contre parties » à apporter. Car ce qui était autrefois une forêt et une zone humide vivante a fait place à une terre rase replantée ça et là de wassai et de bananes. C’est le propriétaire, Gilbert Marel, agriculteur « bio » qui a concédé en 2021 un bail à Séché qui avait déforesté la zone dès 2018, année au cours de laquelle l’industriel avait déjà engagé son projet. C’est ainsi qu’une population de Vochysia sabatieri, grand arbre aux floraisons jaunes qui fait l’objet d’une protection intégrale car il n’est répertorié qu’en Guyane a désormais disparu du périmètre en jeu.

Résultat : le diagnostic écologique mené majoritairement en 2020 et 2021 sur le périmètre concerné par le projet d’implantation conclut à un « potentiel environnemental largement entamé par la déforestation » avec des enjeux désormais en grande partie « négligeables à faibles ».

Un bon point pour Séché car selon le rapport de mai 2022 de la direction générale des territoires et de la mer, le projet concurrent de la CACL envisagé en zone forestière « présente plus d’impacts sur les aspects biodiversité ». Une demande de dérogation espèces protégées est toutefois introduite par l’industriel notamment pour la Buse échasse et la Buse roussâtre toutes deux menacées d’extinction, le Puma, la Tayra ou encore la Lasiure, cette chauve-souris très rarement observée par les scientifiques et qui affectionne les palmiers. En ce qui concerne la disparition des Vochysia sabatieri, le Conseil national de la protection de la nature considère comme « regrettable » « l’absence » de prise en considération de cette disparition « [dans] le dossier de demande de dérogation », cela étant, le Conseil estime que cette absence est « malgré tout indirectement prise en considération dans le dimensionnement des mesures compensatoires envisagées ».

Parmi les « compensations » figurent la sanctuarisation de 62 hectares voisins composés de savanes roches et de zones naturelles d’intérêt écologique, faunistique et floristique (Znieff) de premier ordre. « Comment est-il possible [d']accepte[r] de condamner à mort une zone agricole ayant déjà du mal à survivre ? Le circuit prévu pour la rotation des camions longe des exploitations agricoles, des élevages, des habitations avec de jeunes enfants. Il est fréquent que des enfants circulent sans surveillance sur ces pistes la plupart du temps désertes, que des troupeaux entiers de bovins traversent une clôture et déambulent librement au milieu du chemin … » s’est alarmé au cours de l’enquête publique un agriculture concerné et opposé au projet.

Marion Briwalter