Selon des estimations, près de 3 000 personnes vivent dans le quartier informel de la Piste Tarzan à Cayenne. Communautés brésiliennes, haïtiennes et du Guyana s’y mélangent dans ce qu’on appelle poliment habitats spontanés ou précaires, pour ne pas dire bidonvilles ou squats. Une population vulnérable, aux situations de précarité évidentes, amplifiées par les conséquences du confinement et de l’épidémie de COVID-19.

Derrière les palissades de taules le long de la Route de Tarzan se trouve le quartier informel de la «Piste Tarzan» où vivent en grande majorité des personnes issues de l’immigration clandestine. Elles fuient les persécutions et les crises politiques de leur pays, comme en Haïti où l’insécurité et l’instabilité politique poussent des milliers d’Haïtiens à rejoindre la Guyane, en espérant pouvoir y trouver un refuge. Malheureusement, c’est bien souvent l’impossibilité d’obtenir une carte de séjour, entrainant l’impossibilité d’un travail déclaré qui les attend. Et donc de nombreuses années dans la clandestinité et tout ce que cela implique, exacerbé par la peur quotidienne de la police aux frontières (PAF) et d’une reconduite hors de la Guyane.

Avant la pandémie de COVID-19 et le confinement du mois de mars, la politique et l’ambition de la ville de Cayenne et de la préfecture de Guyane étaient claires, la destruction d’un de ces squats par mois. Comme ce fut le cas en janvier dernier au squat Marengo, ou du squat de La Matine en septembre 2019. La capacité de logement étant devenue largement insuffisante face à l’expansion de la population en Guyane, il n’est donc pas étonnant que 40 % des nouvelles habitations construites en Guyane soient réalisées sans autorisations, selon une lettre de la Cimade (association d’aides aux réfugiés) pour la ministre des Outre-mer en novembre 2019. Après une trêve liée à l’épidémie de coronavirus, la fin de l’état d’urgence en Guyane va marquer la reprise de ces expulsions, c’est le cas ce 24 novembre avec la destruction de 57 baraques dans le quartier Nzila au cœur de Cayenne, dans un but de « reconquête et de maîtrise de son espace » pour la ville de Cayenne, selon la maire Sandra Trochimara qui c’est rendu sur place.
Le relogement, lui, est souvent une vague illusion. Comme cela a été le cas au mois d’octobre après l’incendie d’une trentaine d’habitations dans une partie de Piste Tarzan. Les 15 familles se retrouvant sans logements ont d’abord été prises en charge par La Croix-Rouge pendant 3 nuits, répondant ainsi à la nécessité d’un hébergement d’urgence, avant d’être, relâchées dans la nature, dispersées, et sans solutions pérennes.
Ce terrible incendie est intervenu dans un environnement où la promiscuité est permanente, mais il est loin d’être le seul risque menaçant les habitants de ces quartiers.
Bien souvent construits sur des collines, l’écoulement des eaux de pluie peut très vite devenir infernal, notamment en saison des pluies, entrainant des risques de mouvements de terrains, charriant d’innombrables déchets, et évidemment les maladies qui accompagnent les environnements insalubres.

Le parcours du combattant de l’accès au soin.

L’accès aux soins représente donc un réel défi dans ces quartiers. Médecins du Monde et la Croix-Rouge sont bien présents sur le terrain, ayant même augmentés leur présence dans ces quartiers depuis la pandémie. Ainsi, chaque semaine Médecins du Monde se rend dans ces quartiers pour y effectuer des soins médicaux de première nécessité tels que de la médecine générale, le suivi de femmes enceintes et de personnes souffrant de maladies chroniques comme le diabète ou le VIH. Mais aussi bien souvent, des problèmes dermatologiques liés à l’insalubrité de l’habitat, la gale par exemple.
Cette insalubrité constante amène aussi avec elle des infections plus sérieuses comme la leptospirose, transmise notamment par les rats, pour qui cette accumulation de déchets est une aubaine. Médecins du Monde intervient aussi dans l’aide aux démarches et l’accompagnement à l’ouverture aux droits de santé. L’enjeu est grand pour ces habitants, parfois sur le territoire français depuis plusieurs années, mais dans l’ignorance de leurs droits.
En effet, pour François Lair, psychiatre au Centre Hospitalier de Cayenne, ayant été présent sur ces quartiers pendant le confinement et durant les distributions de colis alimentaires, « les gens en face ne connaissent pas leurs droits, c’est la porte ouverte à la discrimination. En matière de santé mentale, je suis confronté à des troubles liés à des traumatismes passés, ayant pu intervenir dans le pays d’origine ou lors du parcours pour arriver en Guyane. Traumatismes qui créent de l’anxiété, voire des dépressions, qui peuvent amplifier un sentiment d’exclusion, et donc rendre encore plus difficile l’intégration dans la société guyanaise et française. »
Les obstacles sont en effet nombreux : souvent non véhiculées, les personnes n’ont pas les moyens de se déplacer jusqu’aux structures médicales, la barrière de la langue, la méconnaissance du droit français, et bien souvent le voile de la peur du contrôle d’identité toujours présent… Un vrai parcours du combattant donc. Pour Aude Trepond, coordinatrice de Médecins du Monde à Cayenne, «la volonté de simplifier les démarches n’est pas là. Au contraire, la volonté est plutôt de complexifier cet accès aux soins. La politique de non-accueil des personnes migrantes qui est en vigueur a des conséquences sur la question du soin et de l’accessibilité aux démarches. On est directement témoin de cette politique. » Tous ces obstacles mettent souvent la santé au second plan. Se nourrir, et trouver un toit ont souvent la priorité. Il s’agit ni plus ni moins de stratégie de survie.

Souffrir de la faim en France en 2020.

Mais justement, se nourrir, nourrir sa famille n’est pas toujours une évidence. Durant le confinement, les ménages des quartiers informels de Cayenne ont vécu une flambée de leur précarité alimentaire. L’économie informelle, majoritaire dans ces quartiers s’est en effet écroulée pendant le confinement, plus de « petits jobs » qui ne rentrent évidemment pas dans les cases du chômage partiel. Le budget alimentaire des ménages s’est donc vu lui aussi diminuer.
Une enquête de Santé publique France intitulée « La faim au temps de la covid-19 à Cayenne et dans ses environs », parue le 17 novembre, a révélé qu’entre le mois de juillet et août 2020, « près de deux ménages sur cinq avaient eu une alimentation insuffisante dans les sept derniers jours et que plus de 80 % des ménages avaient souffert de la faim dans le mois ». L’enquête met en exergue que la situation alimentaire des ménages interrogés était « similaire à celle retrouvée dans l’aire métropolitaine de Port-au-Prince en Haïti en 2016 dans un contexte de sécheresse. »…
Cette demande d’aide alimentaire a donc été couverte par les institutions tel le CCAS, et les associations comme Médecins du Monde et la Croix-Rouge, intensifiant ainsi la distribution de colis alimentaires, sans vraiment pouvoir répondre pleinement à la réelle explosion de la demande. Des rampes d’eau potable ont aussi été installées dans d’autres bidonvilles. Répondant enfin à un besoin (et un droit) fondamental d’accès à l’eau potable, dans ces quartiers où 80 % des logements n’ont pas de points d’eau dans leurs habitations. Les populations ayant souvent recours à des sources d’eau peu sûres (récupération de l’eau de pluie dans des poubelles volées à la collectivité ou des glacières), augmentant le risque de pathologies comme la fièvre typhoïde.
Les aides et les distributions de colis se sont arrêtées avec la fin de l’état d’urgence, alors que la demande elle, reste importante. Aude Trepond déplore la cessation de ce dispositif d’aide à l’alimentation : « on est face à une réelle insuffisance de moyens sur l’action sociale, un manque de dispositif adapté et de proximité, d’interprétariat… qui permettraient de désengorger les services compétents. La Guyane est clairement sous-dotée en termes d’aide alimentaire. »
La seconde vague de coronavirus ayant touché la France métropolitaine pourrait faire son apparition en Guyane avec le même décalage que la première fois, ce qui ne laisse rien présager de bon pour ces communautés migrantes des squats de Cayenne, déjà vulnérables et fragilisées par le premier confinement. Pour Médecins du Monde, « cette situation nous paraît inconcevable. C’est très inquiétant. »

Merci à Johnson Paul, journaliste haïtien et ami pour son aide et sa traduction lors des visites à Piste Tarzan.
Texte & photos de Thibault Cocaign