Face aux objectifs d’autonomie énergétique en 2030, les recherches s’orientent de plus en plus vers l’hydrogène vert en Outremer. De belles promesses bas carbone, dans un marché encore très hésitant. 

En Guadeloupe, une entreprise promet de fabriquer de l’hydrogène vert à bas coût. Num Smo Technologies (NST) a fait surtout parler d’elle, dès 2014, avec sa technologie appelée SMO Solar Process en proposant une solution innovante à trois problèmes de l’archipel : le traitement des déchets, et particulièrement des sargasses, les besoins énergétiques et la pollution de l’eau à la chlordécone – un insecticide toxique utilisé dans les bananeraies, pendant plus de 20 ans. La promesse est belle, mais le développement tarde à se concrétiser. « On a créé un procédé de pyrolyse et de gazéification, par énergie solaire, pour produire de l’énergie, en capturant du CO2, aux deux étapes de fabrication », détaille non sans fierté Nicolas Ugolin, le fondateur de NST. La société a d’ailleurs reçu plusieurs prix internationaux. Elle affirme être en capacité de produire du charbon pour filtrer l’eau et de l’hydrogène dès 2024, avec la capacité d’augmenter la production d’hydrogène « quand le marché local deviendra pertinent à l’horizon 2027 », commente l’équipe de SMO Solar process. « La ligne de production installée à Anse-Bertrand pourra produire 2,5 tonnes d’hydrogène à partir de 27 tonnes de biomasse », assure Nicolas Ugolin. Des annonces qui rappellent celles de 2019, lors du salon Sarg’Expo, devant Annick Girardin, ministre des Outre-mer à l’époque. L’entreprise se vantait d’ouvrir la ligne en 2020, mais cinq ans après, la société reste au stade de l’expérimentation, notamment au Maroc. La fabrication des équipements de production du site de Nord Grande-Terre en Guadeloupe serait en cours selon les membres de la société. « L’ambition de ce projet fait que ça prend plus de temps de convaincre des partenaires », justifie Yasmine Encelade, chargée du développement commercial de la société.
Au sujet de NST, la région Guadeloupe répond que « le process fonctionne, mais la taille de la structure et les circuits de captation de biomasse ne permettent pas aujourd’hui d’assurer à ce type d’unité une pérennité économique, ni une capacité de fonctionnement nominal », explique Julien Laffont, directeur énergie au Conseil régional. « Structurellement, on a du mal à réunir les conditions pour donner une viabilité économique », termine Julien Laffont pour qui « l’équilibre économique de cette affaire reste à préciser ». Pour Jean-François Marc Dorville, docteur en mécanique des fluides, il s’agit de « lutte d’influence autour d’une filière qui va rapporter beaucoup à l’avenir, dans un contexte où les gens ne sont pas bien formés aux nouvelles technologies ». À l’Agence de la transition écologique, le référent hydrogène, Pierre Courtiade n’a pourtant pas connaissance de ce projet.

Décarboner les industries

Si la majeure partie de l’hydrogène dans le monde provient d’hydrocarbures fossiles, l’électrolyse de l’eau permet d’envisager une production bien plus faible en émission carbone. Pour rappel, l’hydrogène est un vecteur énergétique, c’est-à-dire qu’il dépend d’une source primaire pour être produit. On identifie trois modèles de production ayant une empreinte environnementale moindre : l’hydrogène bas carbone, issue du nucléaire ou de sources fossiles avec séquestration des émissions CO2, l’hydrogène renouvelable obtenu avec une électricité d’origine éolienne, solaire, hydroélectrique ou géothermique, et l’hydrogène naturel, présent potentiellement en Nouvelle-Calédonie.
Avec l’hydrogène, la France ambitionne avant tout de décarboner les industries. Mais en dehors du Centre spatial guyanais et des mines de nickel en Nouvelle-Calédonie, il n’y a pas d’usage industriel dans les Outremer, rappelle l’Agence de la transition écologique (Ademe). « La stratégie est donc de créer des écosystèmes territoriaux hydrogène pour mutualiser les usages, et en priorité la mobilité, autour d’une production nationale », explique Pierre Courtiade, chargé de mission hydrogène Outre-Mer et Corse à L’Ademe.

Encore beaucoup d’expérimentations

En Guadeloupe, l’archipel dépend à 82,9 % des énergies importées, selon les chiffres de 2020 de l’Observatoire régional de l’énergie et du climat. Et pourtant d’ici 2030, l’île comme tous les territoires ultramarins devront être autonomes en énergie. C’est la finalité de la Loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte. Un objectif plus ambitieux que pour le reste de la France, afin de réduire la dépendance aux importations encore très forte sur ces territoires non interconnectés au réseau continental (ZNI). L’Outremer bénéficie de nombreux atouts pour développer les énergies renouvelables, telles que la géothermie, le vent ou encore l’exposition au soleil, mais l’ambition de l’hydrogène reste pour le moment à l’étape de l’expérimentation dans la plupart des territoires (cf. encart ).
Dans les ZNI, l’usage de l’hydrogène serait surtout « rentable dans l’installation de micro-réseaux de sites isolés, comme c’est le cas notamment en Guyane. Les services au réseau le sont aussi. Sur les usages de mobilités lourdes, camions, bennes à ordures, navires, il y a des surcoûts élevés qui nécessitent un accompagnement public. A contrario, il n’est pas pertinent d’utiliser l’hydrogène pour les véhicules légers », souligne Pierre Courtiade, s’appuyant sur une étude menée par l’Ademe et EDF-SEI (Systèmes énergétiques insulaires).

Retard par rapport à nos voisins

Pourtant, parmi les différentes expérimentations, la raffinerie des Antilles Guyane, en parallèle d’autres projets (cf. article projets par territoire), teste un véhicule en Martinique et prévoit deux véhicules à hydrogène en Guadeloupe dans le cadre du projet HYGI. « La mobilité légère émerge, car c’est sexy », justifie Mikaa Blugeon-Mered, chargé d’enseignement en marché et géopolitique de l’hydrogène à Science Po Paris. « C’est une vitrine pour les politiques et la population, même si l’usage est intéressant dans le cas de flottes de taxis ou pour le matériel roulant des ports et aéroports ». Une stratégie de démonstration que déplore cet expert des enjeux industriels. « L’Ademe a favorisé des projets à petite échelle, qui coûtent cher, qui prouvent la possibilité de faire de l’hydrogène dans les Outremer, mais qui ne permettent pas de créer un marché. C’est là où on est en retard sur nos voisins en Europe et par rapport au Maroc, ou à Trinidad-et-Tobago. Il faut passer à l’échelle sérieusement », complète Mikaa Blugeon Mered, rappelant aussi l’importance d’améliorer les enjeux de coût, de stockage et de distribution, mais aussi d’efficacité énergétique de l’hydrogène contrainte par une réglementation vieillissante selon lui.
Dans un rapport d’information sur l’autonomie énergétique des outre-mer publié en juillet 2023, il est rappelé que l’État doit accompagner les collectivités. « Chaque territoire, dans l’Hexagone, mais encore plus dans les Outremer, doit pouvoir définir sa stratégie en fonction de ses réalités, de son climat, de son relief et de ses potentialités ». Sans oublier de repenser la fiscalité de l’énergie, ciblée comme étant un « des freins au développement des énergies renouvelables ». Pour faire simple, en diminuant l’usage des produits pétroliers, les collectivités perdent aussi les ressources financières issues de la taxation.

Les projets d’hydrogène par territoire :

Plusieurs programmes hydrogène sont en cours d’étude ou de développement en Outre-mer. Voici la liste des projets connus et pour la plupart soutenus par l’Agence de la transition écologique.

  • En Guadeloupe, en partenariat avec Génergies, la SARA porte le programme HYGI. Une unité de production d’énergie solaire et de stockage d’hydrogène avec une station-service pour 5 bus. La raffinerie teste aussi deux véhicules de 500 km d’autonomie.

Plus largement au niveau caribéen, la Guadeloupe participe avec la Martinique et Sainte-Lucie au projet MAGHIC (Maritime Green H2 Infrastructure in the Eastern Caribbeans). Un programme de production d’hydrogène en mer à partir de force éolienne, pour un déchargement à terre. Des résultats concluants ont été présentés début décembre avec un coût acceptable, selon Interreg Caraïbes.

  • En Martinique, la raffinerie envisage de valoriser l’hydrogène fatal. C’est-à-dire l’hydrogène produit lors du raffinage d’hydrocarbures auparavant considéré comme un résidu.
  • En Guyane, on compte cinq projets :

- Un groupe électrogène de secours est en service et en test au Centre spatial de Guyane, porté par Powidian.
- Le Centre spatial guyanais a pour ambition de remplacer partiellement l’hydrogène d’origine fossile, nécessaire pour alimenter les fusées, en hydrogène vert. ”Le projet Hyguane va ainsi produire environ 15 % des besoins d’Ariane 6, mais va aussi alimenter 5 véhicules lourds et un groupe électrogène de secours”, annonce l’Ademe.
- Sur la commune de Grand-Santi, une école et les logements d’instituteurs d’Apagui seront alimentés par une centrale solaire avec stockage batterie et stockage hydrogène. “Le projet ApagHy, porté par Powidian, permettra d’éviter le recours à un groupe électrogène de secours”, approfondit Pierre Courtiade, chargé de mission hydrogène Outre-Mer et Corse à l’Ademe.
- L’université de Guyane porte le projet de recherche Hymazonie, avec une thèse et un équipement de laboratoire avec électrolyseur, stockage, pile à combustible et intelligence de pilotage.
- Dans l’Ouest guyanais, un projet de centrale électrique a commencé. Les travaux ont été plusieurs fois interrompus par la communauté Kali’na, qui s’oppose au projet, souhaitant protéger leur environnement culturel et traditionnel. Cette centrale est une ferme solaire avec stockage hydrogène de HDF Energy, d’après les précisions de l’Ademe.

  • Sur l’île de la Réunion, selon l’Ademe, des projets de mobilité lourde sont examinés. Le syndicat d’électrification porte une expérimentation, en cours, avec l’alimentation de 2 véhicules utilitaires légers.

Dans un rapport régional, on apprend aussi que le projet précurseur de la filière n’est plus en état de marche depuis un incendie en juillet 2022. Un accident sans rapport avec l’hydrogène, selon l’Ademe, qui a quand même soulevé la nécessité de former les pompiers à la gestion du risque de proximité hydrogène, peut-on lire dans le rapport.

  • En Polynésie française, une première pile hydrogène serait à l’expérimentation à l’université. Pour ce territoire divisé en cinq archipels, des centrales hybrides solaires sont en cours d’examen.
  • En Nouvelle-Calédonie, à Bourail, une centrale photovoltaïque devrait produire de l’hydrogène. D’autre part, sur ce territoire riche en ressources minières, des recherches seraient en cours pour vérifier la présence d’hydrogène naturel.

Une centrale hybride solaire/hydrogène en Guyane
Dans l’ouest de la Guyane, le chantier de l’imposant et controversé projet Ceog est en cours. Il consiste en l’implantation d’un champ solaire couplé à quelques « piles » à hydrogène stockées dans douze containers et développées par la société Hydrogène de France, ancien actionnaire minoritaire du projet.

Cette installation nécessitant 100 M€ d’investissements est présentée par ses concepteurs comme le fleuron de la technologie française, au coude à coude avec Tesla, qui développe pour alimenter les réseaux électriques de puissants champs solaires couplés à de l’hydrogène et équipés de batteries en Australie.
Si l’accent du projet Ceog est porté sur l’hydrogène, un système assez novateur, le procédé repose surtout sur les nombreux panneaux étalés sur 52 hectares. C’est ainsi que neuf couronnes de centaines de panneaux émergeront en haut de plusieurs collines dans cet espace forestier de petit relief et classé comme zone d’intérêt écologique. Pour se déployer, le site classé Seveso seuil bas nécessitera d’abattre soixante-quinze hectares de forêt pleine de vie et considérée comme un espace de chasse, de pêche, de récolte et de pratique de leur amérindianité par les 300 habitant·es du village kali’na de Prospérité.
Pour produire de l’hydrogène, il faut un électrolyseur. Celui-ci est alimenté en électricité par le système photovoltaïque. Dans le cas du projet de Mana, de l’eau sera puisée dans la nappe souterraine à raison de 8 500 m3 par an (soit l’équivalent des besoins annuels de 160 individus) et subira un phénomène d’électrolyse qui permettra de produire un gaz stocké sous une forme compressée. Le circuit passe ensuite par des piles à combustible qui produisent de l’électricité à partir de l’hydrogène stocké. Cette électricité est alors stockée dans des batteries à Lithium-ion rangées dans des containers. En fait, ces technologies s’appuient sur le « cycle de l’eau », qui consiste à décomposer puis recomposer une molécule d’eau (H2O).
Le projet est porté par la Ceog (centrale électrique de l’Ouest guyanais), société détenue par le fonds Meridiam (60 %) et la Sara – société anonyme de la raffinerie des Antilles – (40 %). Elle pourrait fournir l’équivalent de la consommation annuelle moyenne de 10 000 foyers.

Bénédicte Jourdier