Le secteur de l’énergie solaire se développe à Mayotte, alors que les énergies renouvelables ne constituent actuellement que 5 % du mix énergétique de l’île. Un développement appelé de leurs vœux par les professionnels du secteur, comme les associations de l’île, qui rappellent néanmoins l’importance de ne pas mettre en danger la faune et la flore du territoire.

entre la théorie et la pratique, le fossé est « immense », lâchent certains, « insurmontable », soufflent d’autres. Promulguée en 2015, la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte avait fixé comme objectif de parvenir à l’autonomie énergétique dans les départements et régions d’outre-mer à l’horizon 2030. À Mayotte, force est de constater qu’on en est encore bien loin. Sur l’île, près de 95 % de la production énergétique est issue des énergies fossiles. Les énergies renouvelables, où l’énergie photovoltaïque apparaît pour l’heure comme la plus prometteuse, ne constituent que les 5 % restants du mix énergétique.
Des chiffres particulièrement bas en comparaison de la plupart des autres Zones non interconnectées, qui pourraient s’expliquer par le manque d’appels d’offres, mais aussi « le manque de foncier disponible pour développer des installations photovoltaïques, entame Ibrahim Ahmed Combo. Il y a aussi un manque de moyens évidents, poursuit le directeur de la transition écologique et énergétique du Conseil départemental de Mayotte. Nous avons établi une stratégie pour développer le photovoltaïque, notamment auprès des collectivités, des particuliers et des agriculteurs, mais nous n’avons pas assez de moyens, explique-t-il. On est un territoire parmi les plus ensoleillés. Ça devrait nous permettre d’être aux avant-postes du photovoltaïque et pourtant, on n’y est pas. »

Des opérateurs de plus en plus nombreux

Pourtant, les opérateurs sont de plus en plus nombreux à développer la production d’énergie solaire sur l’île. Les premières installations photovoltaïques se sont développées en 2009 et quelque 125 centrales solaires sont désormais déployées à Mayotte. Sur le marché en pleine expansion du solaire, Albioma, par exemple, exploite un parc photovoltaïque d’une capacité installée de 12,2 Mégawatt-crête (MWc). Le producteur d’énergies renouvelables indépendant gère notamment la centrale en toiture du marché de Mamoudzou, qui possède à elle seule une puissance installée de 0,7 MWc.
Depuis 2020, le gestionnaire du réseau public de distribution d’électricité du territoire, Électricité de Mayotte (EDM), a également fait le choix de s’engager dans le développement de l’énergie solaire. « Nous disposons actuellement de 6 MWc sécurisés, détaille Mamadou Fofana, responsable des activités photovoltaïques au sein d’EDM. À l’horizon 2025, notre objectif est d’atteindre 10 MWc. »

Protéger l’avifaune

Des projets d’énergie « verte » que les associations de l’île appellent de leurs vœux, mais qui ne doivent pas pour autant se faire au détriment de l’avifaune, alertent-elles, à l’instar du Groupe d’études et de protection des oiseaux de Mayotte (Gepomay). En 2021, l’association avait notamment fait part de ses inquiétudes au spécialiste des énergies renouvelables Akuo, lorsque l’entreprise lui avait présenté un projet de panneaux photovoltaïques sur les deux retenues collinaires de l’île, à Combani et Dzoumogné.
Parmi les inquiétudes soulevées par l’association figurait notamment le risque, bien que mineur, de collision entre certaines espèces et les panneaux photovoltaïques. Surtout, alors que les retenues collinaires représentent les deuxième et troisième sites d’alimentation du héron crabier blanc, classé en danger d’extinction selon l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), la présence de panneaux photovoltaïques aurait pu les mettre en danger, avait alerté le Gepomay.
« De nombreux insectes utilisent la lumière polarisée comme moyen d’orientation, rembobine Émilien Dautrey, directeur du Gepomay. Le problème, c’est que la lumière artificiellement polarisée et réfléchie par des surfaces lisses perturbe leur comportement et leur orientation, au point que certains confondent les panneaux avec des miroirs d’eau », poursuit l’ingénieur agronome. Conséquence directe : « Certains insectes sont attirés par cette lumière et pondent leurs œufs directement sur les panneaux solaires », où ils ne peuvent éclore, du fait de la chaleur et de l’absence d’eau. « Étant donné que les hérons crabiers blancs se nourrissent de ces insectes, ça aurait pu les impacter », conclut Émilien Dautrey, avant de « remercier » l’entreprise d’avoir tenu compte des craintes du Gepomay vis-à-vis d’un projet qui n’a, finalement, jamais vu le jour.

Des infrastructures solaires « loin des zones sensibles »

Depuis, aucun autre projet de panneaux photovoltaïques sur les retenues collinaires n’a été porté à la connaissance du Gepomay, ce dont se félicite son directeur. « L’impact aurait été catastrophique pour le héron crabier blanc, mais d’autres espèces auraient également pu être impactées, comme le guêpier de Madagascar, la poule d’eau ou encore le grèbe castagneux », énumère-t-il.
Loin de se positionner contre le développement du photovoltaïque à Mayotte, le Gepomay insiste néanmoins sur la vigilance à avoir quant aux lieux d’implantation des projets solaires. « Il faut privilégier les infrastructures loin des zones sensibles », assure Émilien Dautrey. Des propos corroborés par Michel Charpentier, président de l’association environnementale des Naturalistes de Mayotte. « Il est impératif d’éviter les zones où l’on trouve des espèces en situation critique d’extinction, comme le héron crabier blanc, mais il faut également faire attention à celles qui ne sont pas forcément classées, comme les reptiles, et qui pourraient cependant être impactées. »
À l’heure où le développement du photovoltaïque se poursuit à Mayotte, avec l’inauguration récente par Akuo d’une centrale solaire d’une capacité de 1,2 MWc sur l’ancienne décharge d’Hamaha, certains acteurs regardent vers l’agrivoltaïque et ses potentialités. D’autres s’interrogent sur la possibilité de développer le photovoltaïque directement sur le lagon, tout en se montrant prudents. « Une fois qu’on aura équipé les bâtiments terrestres, on pourra réfléchir au lagon, conclut Ibrahim Ahmed Combo, mais il faudra évidemment le faire en respectant les espèces qui y vivent. Le territoire se développe, certes, et les besoins sont grands, mais ça ne veut pas dire que ça doit se faire n’importe comment. Il faut choisir des sites appropriés qui ne mettent pas en danger la biodiversité. »

Cécile Massin