Cet article est a retrouver dans le n°10 de Boukan

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Dans les eaux du 101e département, le corail étouffe sous le poids de l’activité humaine et de l’érosion puis de l’envasement qu’elle génère. Et avec la mort lente de l’élément central du lagon de Mayotte, c’est un écosystème qui risque de disparaître. Face à ce constat, le projet Leselam, réunissant plusieurs acteurs de l’île, tente d’alerter et de pousser au changement de comportements. Reste que, sur “ l’île au lagon ”, comme on la nomme paradoxalement ici, les moyens manquent et l’urgence de construire prend le pas sur l’urgence de préserver.

20 000 tonnes chaque année ! C’est l’équivalent de 1 200 poids lourds pleins à craquer qui déverseraient leur cargaison de terre dans le lagon de Mayotte. L’un des plus beaux au monde, réputé pour sa majestueuse double barrière de corail. Avec ces sédiments qui envasent le joyau bleu du 101e département, c’est tout un écosystème fragile autour de coraux à l’asphyxie qui se trouve en péril.
En cause, évidemment, l’activité humaine. La déforestation et surtout les chantiers, principalement particuliers, menés sans scrupule ni réels contrôles des autorités compétentes. « Un constat dramatique au vu de la petite superficie de l’île [374 km2] », estime Germain Rolland qui, avec les Naturalistes de Mayotte, tente tant bien que mal d’inverser la tendance autour du projet Leselam.
Leselam, acronyme pour “ Lutte contre l’érosion des sols et l’envasement du lagon ”, associe ainsi l’association environnementale des Naturalistes de Mayotte, le BRGM, le CEA ainsi que l’Établissement public foncier et d’aménagement de Mayotte (Epfam), chacun ayant des rôles bien répartis et complémentaires.

Une « task force » aux rôles complémentaires

La première est chargée de sensibiliser les différents publics au danger que fait peser l’érosion de l’île. Le bureau de recherches géologiques et minières, lui, se charge de la partie scientifique, récolte et modélise les données quand le Commissariat à l’énergie atomique use de ses compétences pour analyser les conflits d’usage autour de la retenue collinaire de Dzoumogné, au nord de l’île, elle aussi soumise à l’envasement. L’Epfam, lui, organise la démonstration ; sur une zone d’aménagement concerté (ZAC) située à Doujani, un village de Mamoudzou, l’établissement concilie urbanisme et agriculture autour de bonnes pratiques permettant d’empêcher l’érosion et le déversement futur de sédiments dans le lagon.
À l’origine de cette “ task force ”, « une Feuille de route de lutte contre l’érosion des sols établie par la DEAL en 2012 », retrace Germain Rolland, aujourd’hui chargé du projet Leselam chez “ Les Naturalistes ”. Trois ans plus tard, naît ainsi ce premier projet, centré sur le côté terre et les bassins versants, mais aussi deux autres groupements, notamment autour du Parc naturel marin de Mayotte, concernant le volet maritime. Phasés en période de trois années, les programmes financés par le Feader associent alors en fonction des besoins différents acteurs.

L’urgence de loger, l’urgence de manger

« Concernant Leselam, le BRGM et les Naturalistes constituent les acteurs historiques », rappelle le chargé de projet. Vulgarisant ainsi les données scientifiques de ce premier pour éveiller les consciences, ce second dispose dorénavant de toute une panoplie d’outils. De la maquette de bassin versant aux ateliers de sensibilisation autour des agriculteurs et de l’écosystème de l’urbanisme en passant par des pièces de théâtre, des maraudes ou une application permettant de signaler les comportements dangereux, Les Naturalistes multiplient les initiatives… Mais font face à une sérieuse inertie sur le sujet.
Il suffit ainsi de se rendre à flanc de collines pour constater que la déforestation, la monoculture et la culture sur brûlis ne font qu’augmenter. Laissant derrière elles des “ padzas ”, ces zones de terre rouge devenue stérile, lessivée, qui n’attend qu’une pluie pour filer vers le lagon. Il suffit aussi de se rendre sur les hauteurs des villages, où l’on construit toujours plus, pour observer des chantiers où l’on décaisse la terre à tour de bras sans mur de soutènement ou autre technique permettant que la terre ne glisse pas à la mer. Problème, face à l’urgence de nourrir et de loger une population galopante, « les gens sont peu réceptifs aux enjeux écologiques », regrette Germain Rolland.
Alors, l’association tente des astuces : « On parle d’érosion aux agriculteurs, mais on va surtout insister sur le caractère plus durable et productif d’une agriculture variée, qui prend soin de la terre », illustre le chargé de projet. « De manière générale, on explique à quelqu’un qui travaille la terre qu’un parent pêcheur ne trouvera plus rien à fournir dans les assiettes si ces comportements perdurent », poursuit-il. Côté chantiers, « on va insister sur les risques, par exemple de glissement de terrain ». Reste que l’association des mauvaises habitudes à l’urgence de construire et manger freine largement le changement de comportements.

Un écosystème du laisser-aller

Alors on « attaque par tous les bouts », explique Germain Rolland. À commencer par l’éducation des enfants, à l’aide d’un dessin animé à venir et surtout d’ateliers dans les écoles. À un autre bout, « on a réuni les patrons des différentes entreprises du BTP pour réfléchir au cercle vertueux que l’on pourrait mettre en place autour de la terre des chantiers », indique encore le chef de projet, pointant l’une des problématiques majeures de l’île en la matière : « Un sérieux problème de gestion de la terre, on a quasiment pas de zones de stockage ». Un sérieux problème, oui, à l’heure ou les chantiers se multiplient dans tous les sens à l’aune, encore une fois, de l’urgence de loger.
Autre problème, et non des moindres, « un manque criant de formation ». « Chaque acteur est un peu isolé, dans son coin, et ne sait pas ce qu’il peut faire face à ces comportements néfastes. Par exemple, les policiers municipaux ne savent pas qu’ils peuvent intervenir. Les techniciens des mairies, même s’il y a des exceptions, n’intègrent pas le facteur de l’érosion dans l’établissement des plans locaux d’urbanisme, lesquels sont souvent dressés en retard, pour suivre le rythme de construction et non le créer comme ce devrait être le cas », regrette encore le chef de projet, rappelant aussi l’absence de contrôle des permis de construire.
Mais particuliers et administrations locales ne sont pas les seuls à laisser perdurer le phénomène : la DEAL, par exemple, ne fait pas de police de l’urbanisme. Elle ne dispose pas non plus de plateforme de signalement pour les comportements néfastes, comme cela se fait partout ailleurs sur le territoire.
Tout un écosystème qui cause la lente mort d’un autre. Il y a pourtant tout autant urgence à développer Mayotte qu’à protéger son environnement.

Texte de Greg mérot
Photos association des naturalistes de Mayotte