les_mecenes_CD_corrUne saison en Guyane est parti à la rencontre des Mécènes lors d’une répétition entre deux week-end de carnaval. Une interview dans la bonne humeur et anecdotes qui retracent les 36 ans de carrière du groupe qui enflamme le bal masqué de Cayenne… 

Dans l’histoire des Mécènes, depuis 36 ans, combien de personnes sont là depuis le début ?

M. Fortuné : Depuis le début, il y a Émile, le guitariste et moi. Jean-Clair est arrivé deux ans après.

La musique des Mécènes il y a 36 ans, était de la musique de carnaval? Y-a-t-il eu une évolution ?

M.Fortuné : Le tout premier répertoire était basé sur les sons du compas haïtien, parce qu’à l’époque, on est en 1977, c’était la musique qui était privilégiée ici, que tout le monde écoutait. D’ailleurs, la seule radio qui existait était FR3, qui est devenue aujourd’hui Guyane 1ère, donc tout le monde était obligé d’écouter ça, il n’y avait pas le choix (rires).

Il y a eu ensuite, la Kadans Lypso du genre Exile One, Grammacks, Liquid Ice et Opération 78. C’était un répertoire composé de beaucoup de morceaux à influences haïtiennes et antillaises.

On a commencé a jouer de la biguine deux ans après lorsque le Soleil Levant, dit Chez Nana, a fait appel à nous pour faire le carnaval de 80. Le groupe qui jouait avec une grande longévité dans ces lieux était l’orchestre de Théolade jusqu’en 78 sur une longueur d’une vingtaine d’années. En 79, le gérant a choisi de monter un orchestre avec les musiciens de l’époque qui était de renom : Les Frères Agala, Caberias et Egalgi, mais ils n’ont pas réussi à offrir une musique de qualité, répondant à la tendance de l’époque, pour garder l’ancienne clientèle. Ce bal paré masqué n’a pas fait long feu, car après trois samedis, le Soleil Levant a fermé ses portes. Par la suite, monsieur Charles Sébastien, le tenancier de Chez Nana, a été conseillé par un certain nombre de personnes pour faire appel à une jeune formation. Celles qui marchaient à l’époque, c’était les Blue Birds et les Blue Stars…

Il a faillit ne pas nous recevoir car nous n’étions pas assez connus sur Cayenne. L’orchestre n’avait que deux années d’existence. On jouait d’habitude en commune, à Kourou dans une salle qui s’appelait Kachiri Bombo et Chez Madame Pantélio à Sinnamary. C’était nos deux lieux de prédilection.

Puis on a accepté un contrat pour faire le bal paré masqué de Chez Nana, un domaine que nous ne maîtrisions pas du tout. Le bal paré masqué du temps de Théolade, était une manifestation répandue à une clientèle de 250 à 300 personnes. C’était ça Chez Nana de l’époque. Le billet d’entrée coûtait dix francs pour les hommes et huit francs pour les femmes. Le cachet proposé à l’orchestre était de 3000 francs, 450 euros, ce qui représentait une somme extraordinaire! (rires). Nous avons eu le support d’un clarinettiste antillais qui avait l’habitude d’accompagner le groupe Théolade en biguine. C’est en 83, que nous enregistrons notre premier album.

Vous avez fait des concerts à l’étranger. Quel est l’endroit où la musique de Carnaval a eu le meilleur accueil ?

M.Fortuné : Dans les années 90, nous avons eu l’ambition de nous faire connaître à l’extérieur puisque nous avions révolutionné Nana avec le premier album. Grâce au partenariat avec Dany Play alias Daniel Sinaï (ndlr. Gérant du Polina) on a produit cet album qui est resté dans les annales du Carnaval Guyanais, « Piment Cho ». On avait le support de Quéquette comme chanteur de vidé; de Germain Boube comme guitariste et des musiciens de Kassav’ comme Jean Philippe Marthély… sans oublier les musiciens de la Perfecta comme Daniel Rabeau

À partir de là nous avons pensé qu’il fallait nous lancer à l’international. Nous avons conclu alors un accord avec un tourneur international, Alex Brassel. Par cet intermédiaire nous avons fait près de six concerts aux États-Unis, dont deux concerts à New York. Il y a une date que l’on n’oublie pas, c’est le 28 avril 96 à Lafayette, 27 000 personnes, cela nous a valu un article en première page du fameux New York Times!

Vous n’avez pas prévu d’y retourner ?

M.Fortuné : Nous avions un chanteur emblématique, Bernard Inglis, qui nous a quittés il y a douze ans et qui avait marqué le public de la Louisiane. Tant que l’orchestre ne s’était pas reconstitué de façon à rivaliser cette prestation nous ne voulions pas y aller. Mais je crois que cette fois-ci, on est prêts…

Avez vous déjà joué en Haïti ?

M.Fortuné : Non justement, on n’a pas joué en Haïti. Dernièrement, nous avons reçu la presse haïtienne à l’occasion de la commémoration des 150 ans de l’immigration haïtienne en Guyane, grâce à l’article que vous avez publié dans Une saison en Guyane (N°8).

Là, nous avons pu rencontrer ce beau monde qui s’étonne que Les Mécènes ne soient pas connus en Haïti. Mais aujourd’hui je crois que les conditions médiatiques commencent à se réunir et nous devrions y aller dans les prochains mois…

À Petit Goave peut-être ?

M.Fortuné : À Petit Goave dans ma ville natale (rires), pourquoi pas…

Quels sont les bons ingrédients pour un tube de carnaval ?

Jean Clair Anni : Souvent, c’est un petit crescendo qui revient et qui accroche le public. Des bouts de chansons qui sont chantés dans les gîtes de France et que l’on a repris en mazurka. Mais l’inspiration vient généralement à partir des faits de société, avec un refrain facilement attachant pour le public.

M.Fortuné : Dans le groupe on a de la chance d’avoir beaucoup de personnes qui écrivent et qui composent, mais nous ne sommes pas que ça. Nous prenons aussi la tâche d’autres auteurs compositeurs guyanais et martiniquais comme José Versol, Rémy Aubert, Henri Placide et Claude Henrion qui nous ont écrit pas mal de tubes. Ce qu’il faut retenir, c’est que Les Mécènes, nous avons la fibre d’arranger les morceaux quelque soit la composition. Par expérience, nous connaissons ce qu’il faut au public, et sans fausse modestie Les Mécènes nous avons un style qui fait école et que les autres groupes essayent de reprendre. Il y a une complicité entre les deux guitares et le piano qui donne un rendu que l’on ne retrouve pas chez les autres, ce n’est pas « meilleur », c’est « Les Mécènes ».

Comment vous imaginez l’évolution de la musique de Carnaval ?

M.Fortuné : On joue les mêmes morceaux qu’il y a 20 ans, si on écoute un enregistrement de l’époque et maintenant on voit l’évolution. D’ailleurs de samedi à samedi le même morceau est joué différemment. On fait de la musique vivante. Sur un morceau de Quadrille on a repris une influence Reggae avec Sista Sony. Voyez comme on peut faire évoluer la musique de carnaval.

Comment gérez-vous un public de Touloulou lors du bal paré masqué, qu’est ce qui change d’un concert habituel ?

Rénato Decater : Leur attention est apportée différemment, c’est selon le coup de reins. On le partage ce plaisir, quand ils ne sont pas intéressés, ils quittent la salle et profitent pour aller boire. Du moment que la salle est encore comble on sait très bien que ça fonctionne. Il y a un vrai échange avec le chanteur, c’est clair et net!

Est-ce qu’il y a une évolution des morceaux qui se jouet à minuit, puis à trois heures du matin… ?

Rénato Decater : Tout à fait on joue les morceaux phares vers le tard. Si on les joue trop tôt les gens partent tôt aussi. On fonctionne en crescendo.

M. Fortuné : Si vous y allez le samedi soir, il y a une sorte de chorégraphie improvisée parce qu’au commandement  du chanteur,  les 3000 personnes font les mêmes mouvements, c’est extraordinaire! C’est la raison pour laquelle, le public et nous formons une alchimie indéfectible.

Propos recueillis par Pierre-Olivier Jay.

Retrouvez une compilation carnavalesque des Mécènes dans le N°12 version CD de Une saison en Guyane.

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