Dans un récent article du magazine Brasil de Fato*, des médecins brésiliens formés à l’étranger critiquent sévèrement le parti pris et le corporatisme du corps médical brésilien.

Lancé en juillet 2013 par le gouvernement fédéral, le recrutement de praticiens étrangers [programme Mais Médicos] a fait l’objet d’une forte opposition dans les secteurs conservateurs du corps médical. D’ailleurs, l’arrivée des docteurs cubains sous les huées et insultes d’un groupe de médecins brésiliens à Fortaleza (Ceará), en août 2013, a été l’un des moments forts de l’année. La situation de la santé publique dans le pays, mais aussi la formation et la pratique des médecins brésiliens ont ainsi occupé les débats.

Selon Cíntia Santos Cunha, Brésilienne étudiante en médecine à Cuba, dont le profil tranche radicalement avec la majorité de ses homologues restés au pays, le manque d’opportunités a en partie motivé son départ. Elle déplore l’élitisme des écoles de médecine brésiliennes : « Très vite, à partir de 16 ans, j’ai voulu faire médecine. Malheureusement, c’est impensable pour des gens comme moi qui suis noire, femme et pauvre. À Capão Redondo, [zone sud de São Paulo] personne ne rêve de devenir médecin. » Grâce à une amie étudiante à Cuba, Cíntia a découvert un système de santé « plus humain.» C’est alors qu’elle a décidé de tenter l’expérience à son tour.

Avant l’arrivée des premiers médecins cubains au Brésil, le Conseil fédéral de médecine (CFM) a lancé une campagne pour mettre en cause la crédibilité des futurs recrutés, arguant que le programme Mais Médicos « enfreint la législation en vigueur, viole les droits humains et met en danger la santé des Brésiliens, en particulier les habitants des zones les plus éloignées et les plus pauvres. » Selon Cíntia, la posture du CFM s’explique par le fait que les médecins brésiliens craignent de perdre le contrôle des postes vacants, qui leur permet d’exercer la surenchère en matière de salaire. Et aussi par peur que le contact avec les médecins cubains développe chez les patients brésiliens une nouvelle perception de la médecine. « C’est la crainte de voir la population changer d’état d’esprit par rapport au médecin et à l’acte médical. Je le vois bien avec ma famille au Brésil : le patient arrive au cabinet et le médecin ne le regarde même pas. Le patient dit ce qui ne va pas et le médecin sans le regarder et encore moins le palper lui prescrit un médicament ou lui fait faire des analyses complémentaires… »

Cíntia remet en question un aspect fondamental de la mentalité des écoles de médecine au Brésil, où la santé est vue comme un business : « Nous devons non seulement examiner et palper le patient, mais aussi enseigner au patient diabétique ou hypertendu par exemple, à prendre soin de sa propre santé. Si j’apprends au patient à équilibrer son diabète ou son hypertension, il n’aura plus besoin de revenir me voir, et ça ce n’est pas intéressant pour le praticien qui fait de la médecine un commerce. »

En plus d’améliorer le fonctionnement des hôpitaux et des établissements de santé, le programme Mais Médicos a pour but d’envoyer des médecins dans les régions les plus défavorisées du pays. Le ministère de la Santé s’est fixé comme objectif de recruter 6 600 médecins d’ici la fin de l’année 2013.

L’un des Cubains chahutés par les médecins brésiliens s’appelle Juan Delgado. Il a une grande expérience du terrain, a exercé en Haïti et s’est porté volontaire pour venir au Brésil. Il a répondu à ses détracteurs qui le traitaient d’esclave par ces mots : « Nous serons esclaves de la santé et des malades, auprès de qui nous resterons tout le temps nécessaire. Les médecins brésiliens devraient faire la même chose que nous : porter assistance dans les régions les plus pauvres. »

Revalidation

Dans une interview accordée en août à José Coutinho Júnior, journaliste du Mouvement des sans-terre (MST), Andreia Campigotto, médecin brésilien formé à Cuba, remet en cause les épreuves de revalidation du diplôme. Pour elle, les tests ne reflètent pas le niveau de connaissance d’un médecin fraîchement diplômé. « Il y a un parti pris flagrant dans le milieu médical contre les médecins qui étudient à l’étranger ; ce qui n’est pas sans poser problème pour revalider nos diplômes. Ce sont des épreuves injustes destinées aux spécialistes, d’où le taux d’échec élevé des candidats aux tests de revalidation. » Et de révéler que les étudiants en médecine de l’Université de São Paulo (USP), l’une des plus renommées au Brésil, ont eu de mauvais résultats à une épreuve du CFM : « Une épreuve pour généralistes, à laquelle nous n’avons pas été convoqués, beaucoup plus facile que la revalidation des diplômes, où près de 50 % des étudiants ont échoué parce qu’ils n’ont pas su traiter une méningite bactérienne », souligne Andreia. Toutefois, les grands médias ne s’en sont pas fait l’écho, car trop affairés dans leur campagne anti-cubaine.

Selon le ministère de la Santé, les 400 premiers médecins cubains sont tous spécialisés en médecine familiale et ont déjà participé à d’autres missions internationales. 84% d’entre eux ont plus de 16 ans de pratique. Les médecins étrangers bénéficient d’une autorisation spéciale pour exercer pendant trois ans exclusivement dans les services de soins primaires et doivent recevoir l’agrément provisoire des conseils médicaux régionaux. L’agrément n’est accordé qu’après l’approbation de la phase d’évaluation, qui comprend des cours de santé publique brésilienne et de portugais. Les médecins étrangers occupent des postes inscrits au programme et délaissés par les praticiens brésiliens. Au premier appel à candidature début août, seulement 6% des médecins brésiliens qui s’étaient inscrits ont maintenu leur candidature.

Bien accueilli par les bénéficiaires du Système unique de santé (SUS), le programme est encore loin de répondre à la demande. À travers un sondage réalisé dans les établissements de santé du pays fin 2010, l’Institut de recherche économique appliquée (Ipea) a identifié comme principaux problèmes de santé publique le manque de médecins (58,1%), la lenteur de la prise en charge (35,4 %) et la difficulté pour obtenir un rendez-vous avec un spécialiste (33,8 %).

* Brasil de Fato – Une vision populaire du Brésil et du monde

Texte de Daniele Silveira
Titre original : « Mais Médicos evidencia distância histórica entre profissionais e usuários »

http://www.brasildefato.com.br/node/26995 [Version originale]

http://www.brasil247.com/pt/247/saudeebemestar/112998/O-v%C3%ADdeo-dos-m%C3%A9dicos-selvagens-CFM-calado.htm [Arrivée des médecins cubains/vidéo]